Le choix des gouvernements successifs de substituer aux officiers généraux des hauts fonctionnaires civils pour occuper des directions du ministère de la défense (ou des armées) et des postes interministériels à vocation stratégique ne répond à aucune nécessité et encore moins à une quelconque logique. Il nous faut revenir sur un des faits marquants des débuts du quinquennat Macron. Exposées publiquement, le 13 juillet dernier, veille de la Fête Nationale, les remontrances du président de la république à l’encontre de l’ancien chef d’Etat-major des armées ont mis au grand jour la défiance croissante du politique à l’égard du militaire. Ce coup d’éclat fut une étape de plus dans la marginalisation des chefs militaires par les élites politico-administratives, à l’œuvre depuis
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Le choix des gouvernements successifs de substituer aux officiers généraux des hauts fonctionnaires civils pour occuper des directions du ministère de la défense (ou des armées) et des postes interministériels à vocation stratégique ne répond à aucune nécessité et encore moins à une quelconque logique.
Il nous faut revenir sur un des faits marquants des débuts du quinquennat Macron. Exposées publiquement, le 13 juillet dernier, veille de la Fête Nationale, les remontrances du président de la république à l’encontre de l’ancien chef d’Etat-major des armées ont mis au grand jour la défiance croissante du politique à l’égard du militaire. Ce coup d’éclat fut une étape de plus dans la marginalisation des chefs militaires par les élites politico-administratives, à l’œuvre depuis plusieurs années au sein-même de l’appareil de défense et de sécurité français.
En déniant au CEMA (Chef d’Etat Major des Armées) le droit de « parler vrai » dans un cadre pourtant ad hoc – la Commission de la défense de l’Assemblée nationale – et de se prononcer sur les moyens effectifs de l’action militaire, le président de la république et ses communicants ont révélé leur méconnaissance de celle-ci, de sa complexité et des qualités requises pour préparer et conduire une armée.
Paradoxalement, au même moment, Emmanuel Macron invitait les officiers à concentrer leur action sur la réflexion stratégique, donnant l’illusion à son auditoire que ce volet crucial de la défense demeurait du ressort entier des militaires. On en est loin : l’essentiel des postes y contribuant sont progressivement retirés des mains des officiers pour être discrètement redistribués à des hauts fonctionnaires civils, la plupart sortis de l’ENA.
Il s’agit alors de s’interroger sur la pertinence d’avoir confié la plupart des directions du ministère de la Défense et des postes interministériels à vocation stratégique à des personnels tous issus d’une seule et même grande école. Pour chacun de ces postes, et comme cela s’imposait naturellement par le passé, une dizaine d’officiers, forts des multiples aptitudes et de compétences développées tout au long de leurs carrières, pourrait pourtant légitimement être retenue.
Quelle motivation anime le politique qui fait fi de cette expérience, en parfaite adéquation avec la nature des postes à honorer ?
Quand les hauts fonctionnaires civils trustent la quasi-totalité des directions du ministère de la défense (des armées) et des postes interministériels à vocation stratégique.
La qualité de l’administration civile française, la valeur de ses hauts fonctionnaires, issus pour un certain nombre de l’ENA et l’ouverture de la défense à des savoir-faire originaux ne sont pas contestées. La défense peut se sentir honorée de l’attrait de ces fonctionnaires civils pour la chose militaire. Mais cette tendance très nette à la substitution des personnels d’encadrement aboutissant peu à peu au monopole des personnels civils sur ces postes laisse perplexe quand on connait l’investissement de la défense – et donc du contribuable français – dans la sélection et la formation permanente de ses officiers généraux. Aller chercher ailleurs ce dont la défense dispose largement en son sein, à un moment où les contraintes budgétaires sont sans cesse rappelées, répond-il à un besoin effectif ?
Pour illustrer ces propos, observons la distribution des rôles dans l’appareil de sécurité et de défense français et les parcours universitaires et professionnels de leurs détenteurs : président de la république : inspecteur des finances ; premier ministre : conseiller d’Etat ; ministre des Armées : conseillère d’Etat ; Secrétaire Général de la Défense et de la Sécurité Nationale : conseiller maître à la Cour des Comptes ; éphémère prédécesseur du ministre des Armées, directeur des Affaires financières au ministère de la Défense, directeur du Service Historique de la Défense, directeur des Relations Internationales et de la Stratégie au ministère des Armées, directeur de la DGSE, responsable national du contre-terrorisme, coordinateur du renseignement auprès du Président : tous diplômés de l’ENA !
Sans compter le nombre considérable de conseillers, membres et directeurs de cabinets de ces dirigeants, et la diminution considérable du nombre de militaires dans le pilotage des derniers Livres blancs de la défense, dont l’extension à la sécurité constitue là encore un prétexte supplémentaire à la marginalisation des militaires.
Plus largement, on peut s’étonner que le Musée de l’Air et de l’Espace, à forte dimension militaire, ne soit plus dirigé par un officier général de l’Armée de l’Air ou que la communication de la défense (DICOD) soit désormais pilotée exclusivement par des civils.
Pourquoi ne pas puiser dans le vivier des officiers généraux parfaitement aptes à occuper ces fonctions ?
Il fut un temps, pas si éloigné, où nombre de ces postes étaient naturellement et raisonnablement confiés à des officiers généraux parfaitement aptes à les occuper, disposant d’un avantage concurrentiel sur les technocrates, indéniable et inestimable : la connaissance de la réalité du terrain, des missions, des hommes, du commandement, des moyens nécessaires et enfin des risques assumés.
Les officiers français sont soumis à une formation permanente exceptionnelle et à une sélection particulièrement rigoureuse et originale, reposant non seulement sur un volet intellectuel mais également sur l’aptitude au commandement. Le grand public connaît les noms des prestigieuses écoles des trois armées mais peut-être ignore-t-il que les diplômes qui sont délivrés à leur issue ne sont que le commencement d’un très long processus professionnel pour tous ces jeunes officiers et non pas un couronnement ou un sésame à vie.
A cette première phase succède une quinzaine d’année à vocation essentiellement opérationnelle, souvent en Opérations Extérieures, au cours desquelles ces officiers se perfectionnent dans leurs domaines de compétence et sont jugés en situation, sur leurs aptitudes au commandement et à la prise de responsabilités. Ils poursuivent d’ailleurs en parallèle une formation plus académique. Enfin et parmi ceux qui ont ainsi démontré leurs aptitudes tant intellectuelles qu’opérationnelles et au commandement, intervient une troisième sélection très dure et sur concours, celle de l’École de Guerre. Ils y reçoivent une formation pluridisciplinaire, en particulier dans le domaine stratégique. A leur sortie, les officiers assument successivement des responsabilités en État-major et dans un cadre opérationnel. En outre, beaucoup cumulent ces qualifications avec des diplômes d’autres grandes écoles, et ont occupé des postes en ambassade, à l’OTAN ou en échange avec des unités à l’étranger. Certains enfin sont auditeurs à l’Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN) et au Centre des Hautes Etudes militaires (CHEM).
Nombre d’administrations pourraient s’inspirer avec bénéfice de ce modèle à trois temps où rien n’est jamais complètement acquis, qui sélectionne les hauts potentiels à mi- parcours des carrières et non pas à l’âge de 25 ans, et qui offre une remise à niveau intellectuelle à ceux qui aspirent aux plus hauts postes d’encadrement.
Ce constat soulève plusieurs questions :
Quel sens donner au thème si cher aux dirigeants français, celui de la « diversité » ? Ce slogan mis en avant à la moindre occasion par le politique semble être employé avec le plus grand pragmatisme et devoir s’arrêter là où l’intérêt d’une nouvelle oligarchie commence.
L’exécutif entend-il confiner les militaires aux seconds rôles ? Refuser aux officiers – et au premier d’entre eux – de contribuer pleinement au débat budgétaire et donc à la réflexion sur les moyens de l’action ? Est-ce la consécration d’une nouvelle technique de management imposée aux armées ? La proposition saugrenue d’instaurer un service militaire d’un mois en dit long sur les processus décisionnels et d’élaboration des normes relatifs à la défense.
Il ne suffit pas de revêtir la tenue des militaires ou d’accéder aux plus hautes instances de la défense pour assimiler la connaissance multidisciplinaire qu’acquièrent les officiers au cours de leurs longues et riches carrières. La sympathie et l’attrait croissants qu’expriment pour leur armée la population française et les jeunes en particulier ne s’expliquent pas que par le seul souci d’être protégés. Ce que représente cette institution comme élément de cohésion ou comme perspective d’ascension et de reconnaissance gagnerait à être reconsidéré par des élites dont on nous promet le renouvellement depuis tant d’années.
Général (2S) Pierre Lorenzi
Après une carrière opérationnelle et programmatique dans l’Armée de l’Air, le général Pierre Lorenzi a servi comme conseiller militaire de plusieurs présidents du Centre National d’Etudes Spatiales.