Le phagocytage en art de guerre! Le phagocytage par la finance internationale est sans aucun doute l’arme de destruction massive de ce siècle. Là où le phagocytage est possible, les guerres militaires non pas lieu d’être. Le phagocytage économique est basée sur la maxime bien connue des top managers mondialistes « eat or be eaten ». Pourquoi et comment cette croyance quasi religieuse s’est développée demeure un mystère. Le phagocytage est un système qui est aujourd’hui tellement avancée que les mammouths qu’il a créé sont à l’heure de se manger entre eux. L’exemple récent de la bataille autour du rachat de Syngenta par Monsanto. Mais nous avons aussi la guerre assez navrante entre Alstom et General Electrics qui s’est soldée par le cannibalisme consentant du premier. En Suisse, la vampirisation de Swissair qui a ouvert le bal a été un marqueur de l’économie du pays. Elle a été suivie par celle de UBS, de la place financière suisse et de ses collaborateurs, puis pour couronner le tout de la BNS. Le modèle est toujours le même. On introduit une restructuration sous des appellations marketing aguicheuses de « modernisation », d' »efficacité », de « prospérité » etc. La communication qui est très cadrée met le public dans une impasse et ne peut se solder, selon les communicants, qu’au prix d’une reddition.
Topics:
Liliane HeldKhawam considers the following as important: Autres articles, BNS, Conseil Fédéral, FINMA, haute finance, phagocytage, place financière suisse, UBS, US, Widmer-schlumpf
This could be interesting, too:
investrends.ch writes UBS übertrifft die Erwartungen deutlich
Marc Chandler writes Consolidative Tone in FX Ahead of Key Events and Data
investrends.ch writes Finma-Direktor fordert mehr Kompetenzen und mehr Personal
Marc Chandler writes FX Becalmed Ahead of the Weekend and Next Week’s Big Events
Le phagocytage en art de guerre!
Le phagocytage par la finance internationale est sans aucun doute l’arme de destruction massive de ce siècle. Là où le phagocytage est possible, les guerres militaires non pas lieu d’être.
Le phagocytage économique est basée sur la maxime bien connue des top managers mondialistes « eat or be eaten ». Pourquoi et comment cette croyance quasi religieuse s’est développée demeure un mystère.
Le phagocytage est un système qui est aujourd’hui tellement avancée que les mammouths qu’il a créé sont à l’heure de se manger entre eux. L’exemple récent de la bataille autour du rachat de Syngenta par Monsanto.
Mais nous avons aussi la guerre assez navrante entre Alstom et General Electrics qui s’est soldée par le cannibalisme consentant du premier.
En Suisse, la vampirisation de Swissair qui a ouvert le bal a été un marqueur de l’économie du pays. Elle a été suivie par celle de UBS, de la place financière suisse et de ses collaborateurs, puis pour couronner le tout de la BNS.
Le modèle est toujours le même.
On introduit une restructuration sous des appellations marketing aguicheuses de « modernisation », d' »efficacité », de « prospérité » etc. La communication qui est très cadrée met le public dans une impasse et ne peut se solder, selon les communicants, qu’au prix d’une reddition.
Les dettes de ces entreprises soigneusement fabriquées au fil de leur « globalisation », comprenez financiarisation par les financiers internationaux sont le levier réel de leur phagocytage et donc de leur mort.
Plus le phagocytage évolue, plus la destruction d’emplois s’impose car la rationalisation des activités suit fatalement les fusions. Les délocalisations sont aussi une évidence pour qui sait compter. Un salaire chinois est bien plus profitable qu’un français ou un suisse. Alors au nom de quoi et de qui ces « phagocyteurs » n’en profiteraient-ils pas?
Les emplois de l’économie, de l’industrie, de la finance qui ont été détruits et/ou délocalisés ne reviendront pas. C’est une certitude. Restent les mensonges.
Toutes ces promesses électoralistes de création d’emplois et de baisse de chômage ne peuvent être dès lors qu’autant de mensonges. Ces mêmes personnes, une fois élues ou nommées, n’ont de cesse de céder et de facilite la cession de fleurons de l’économie locale. Et là tout y passe. De l’immobilier public à ce qui s’appelaient hier « régies publiques » en passant par l’exploitation des ressources naturelles et autres réseaux autoroutiers et barrages…
En amont de cette gouvernance publique orientée et partiale, nous découvrons la systématisation de l’influence des représentants des intérêts privés, ou lobbyistes. La nature même de l’Etat en est chamboulée. C’est tellement vrai que l’intérêt public s’est transmuté en intérêt général dans les textes de lois sans aucune réaction des observateurs anesthésiés par le Système qui s’est mis progressivement en place.
Les fondements de la République ou de l’Etat s’en sont trouvés ébranlés donnant la primauté aux intérêts privés qui se trouvent être ceux des patrons de ces lobbyistes qui se sentent légitimés par le pouvoir en place.
Ce phagocytage systématique n’aurait pu avoir lieu sans la connivence sur le terrain avec certaines personnes qui détiennent des postes clés. Ils ont amené leur pays à une reddition économique et financière en le laissant se faire phagocyté par petits bouts.
Nous ne critiquons pas ici le principe d’une reddition qui est certainement préférable à une déstabilisation sécuritaire, voire à une guerre militaire. Non, nous critiquons les mensonges qui sous-tendent les décisions prises et l’hypocrisie lovée derrière la communication.
Liliane Held-Khawam
Textes qui suivent:
- Processus de phagocytage en 8 points
- Cas concret : Le phagocytage de la place financière suisse
- Historique de la trahison:
-Article de Bilan « Eveline Widmer-Schlumpf, fossoyeuse de la place financière? » Chantal Mathez de Senger et Myret Zaki (20 mai 2012)
-Eveline Widmer-Schlumpf est allée trop loin. Par Liliane Held-Khawam – Le Temps, 12.06.2013
Eveline Widmer-Schlumpf ovationnée. »Eveline Widmer-Schlumpf: testament politique en cinq dates » Michel Guillaume
Processus de Phagocytage d’entités privées ou publiques en 8 points:
Phase I: Modification de la vision, des valeurs et donc de la finalité.
Sans aucune raison objective valable des entreprises se sont orientées dans les années 80 et surtout 90 vers la mondialisation ou la globalisation. Il semblait y avoir même urgence pour mettre en place la chose.
Le même phénomène a frappé les Etats. Là, la vision s’est orientée vers la création de blocs d’unions douanières. L’union européenne en est l’un d’eux.
Phase II: Modification des statuts et des Constitutions
Cette mutation de la vision a dû être inscrite de manière officielle pour la légaliser mais surtout pour la pérenniser. C’est ainsi que des chartes d’entreprises ont fleuri, accompagnées de déclarations d’intentions et autres engagements plus ou moins contraignants.
Au plan des Etats, ce sont les Constitutions elles-mêmes qui ont dû être modifiées. Nous avons aujourd’hui même un exemple avec l’intégration en France de l’Etat d’urgence dans la constitution. Les droits des individus pourraient être violés en toute légalité puisque la constitution le permet….
Cette phase est indispensable pour aller au-delà des normes légales usuelles en toute impunité.
Phase III: Se concentrer et étendre les « activités de base » ou « core business »
En parallèle du désir légitime de développer les activités de base, un mouvement de vente de tout patrimoine physique et/ou passif que la finance considère comme insuffisamment exploité ou dormant. Une entreprise qui a un million d’euros comme réserve pour les coups durs perd le rendement associé au million de francs s’il avait été placé dans le rachat d’un concurrent par exemple.
Dans un mouvement simultané, les activités insuffisamment rentables seront vendues à des tiers. L’argent récupéré va tout d’abord payer les bataillons de consultants qui détiennent le savoir, mais dont certains sont les seuls à pouvoir labelliser l’entité comme étant globalisée, véritable sésame auprès du Marché financier.
Mais cet argent va aussi servir à racheter d’autres entités du même « core business », restructurées elles aussi par les mêmes consultants et financiers mais cette fois peut-être ailleurs dans le monde. L’affaire peut être juteuse quand l’entité rachetée ne vaut rien mais vendue tout de même à un prix théorique élevé. On peut penser à Sabena, énorme poids mort avec lequel on a lesté Swissair et qui a servi ensuite à la délester de son patrimoine.
Bref, par le rachat des concurrents présents dans le même « core business », on les neutralise. A force de pratiquer ce jeu, le patrimoine va fondre et l’endettement en sera une conséquence naturelle. Notre million dormant de tout à l’heure pourrait racheter par exemple une entité de plus de 10 millions…
Phase IV: Modélisation mondialisée grâce à des consultants, des auditeurs et des financiers
Que vous alliez dans les antres des services publics, des services de l’Etat, des grandes entreprises, coopératives, entités financières, fondations ou associations, on retrouvera sans surprises les mêmes cabinets de consultants chargés de la globalisation, flanqués des mêmes auditeurs, des mêmes banquiers d’investissements. Même le Vatican s’y est mis avec la réforme de la Curie romaine. Cela a fait suite à une coupure généralisée du système bancaire…
Les consultants et financiers qui ont globalisé la maison-mère sont toujours très prévoyants. Ils segmentent l’entité autour d’unités d’affaires qui sont rendues juridiquement autonomes en prévision de crises à venir . Par conséquent, le jour J la vente en sera facilitée et les investisseurs prêts à phagocyter les plus intéressantes d’entre elles.
Austérité, coupes budgétaires, privatisation, délocalisations, salaires à bas coûts, et rationalisation sont au menu principal.
Phase V: L’endettement comme outil de croissance
Grâce à la phase III, la financiarisation est en place et les banquiers entrent dans les conseils d’administration. Tout devient finance et les pouvoirs sont transmis progressivement aux tenants du marché financier.
L’organisation, financiarisée passe aux mains des créanciers qui en dictent la stratégie. Le chantage peut commencer auprès de l’Etat, gestionnaire de l’argent public. Le grounding de Swissair a montré toute la puissance des banques créancières et de leur capacité de nuisance quand elles ont le pouvoir…
Phase VI: Se faire financer par l’argent public.
A ce niveau, l’ultra-libéralisme qui est supposé donner la primauté à un marché privé, censé réguler naturellement les flux se renie lui-même et fait appel à l’argent de l’Etat et donc du contribuable.
L’Etat généralement s’exécute -ce que l’on peut encore comprendre dans le cas de Swissair, UBS, Alstom- mais sans exiger de contreparties et laisse sa place aux privés qui le veulent bien.
C’est ainsi que Swiss -toute sa flotte et ses « slots » sur sol suisse- a été vendue pour une bouchée de pain à Lufthansa.
Le retrait prématuré de BNS du Stabfund, la structure ayant repris les actifs toxiques, est en train d’être liquidée par des citoyens américains et britanniques.
L’exemple de Alstom est assez édifiant (une vidéo conseillée). Voici un extrait d’un rapport sur le sujet.
L’exemple du « sauvetage » permanent et pérenne d’établissements financiers, par les Etats et aujourd’hui par les programmes illimités d’assouplissements quantitatifs (QE) des banques centrales, consiste aussi à racheter contre du cash des titres plus ou moins viables au prix fort.
Dans cette sollicitation de l’Etat, celui-ci peut être soit riche et peut payer soit déjà exsangue et doit s’endetter auprès du même marché- créancier de l’économie privée.
Généralement un Etat qui se veut « sérieux » et « fiable » passe à la caisse. C’est ce qui s’est passé par exemple avec le sauvetage de UBS où l’Etat a participé en partie et pour la plus grande part, c’est la BNS -dont le contribuable est le garant final- qui est allé s’endetter auprès des marchés via des émissions d’obligations BNS.
Phase VII: Réforme de l’Etat
Arrivé à cette phase l’Etat est endetté, voire très endetté. Il va falloir commencer à privatiser les services publics. Cela revient à se les faire phagocyter à bon compte par le même marché-créancier qui est responsable des étapes précédentes.
Cette phase absolument hérétique amène le pays à s’appauvrir puisqu’il n’a plus les rentrées dans les caisses publiques.Il n’a plus aucune chance de s’en sortir et de se libérer de ses créanciers.
Les exemples sont nombreux. Retenons ceux de la privatisation de la Poste, CFF et autre Finma dont les inévitables Conseils d’administration défendent systématiquement l’intérêt des marchés. Les chiffres d’affaires et bénéfices éventuels restent aux mains de la structure. Ils sont généralement exonérés d’impôts mais financés pour tous leurs investissements avec l’argent public…pertes éventuelles comprises.
La maxime du marché qui privatise les gains et mutualise les pertes est installée.
Cette phase s’appelle « restructuration » dans le privé. Sous la pression des banques, une entité privée très endettée va devoir mettre en place un régime minceur et surtout soit s’endetter encore plus, soit vendre les activités juteuses… Vendre des entreprises filles rentables est une des décisions les plus graves qu’une entreprise ait à prendre. Elle y risque son indépendance et donc sa survie.
Phase VIII: Les méthodes plus contraignantes.
Il y a différents niveaux de contraintes pour réaliser le phagocytage. Diverses actions peuvent être ciblées en fonction des spécificités du pays. L’exemple de la place financière suisse est unique dans le genre. Rien ne lui a été épargnée. Par un extraordinaire concours de circonstances inattendues, la place financière suisse a été phagocytée. C’est clair et précis.
Cas concret : Le phagocytage de la place financière suisse
Le début du processus de phagocytage de la place financière suisse est devenue visible lors de la mise en route en Janvier 2009 de la Finma qui en est une pièce centrale. La création de cette entité -véritable Etat dans l’Etat- a été suivie quelques semaines plus tard par la transmission aux américains des données concernant les collaborateurs de place financière suisse…
Les discours de transparence autour de la fumeuse Weissgeld-Strategie très culpabilisants n’ont cessé que lorsqu’il n’y avait plus rien à donner.
Du coup, la récente médiatisation de la place financière américaine qui se gargarise d’être la nouvelle Suisse et qui n’hésite pas à se définir comme étant LE principal paradis fiscal de la planète a choqué! Le sentiment de trahison des discoureurs sur la Weissgeld-Strategie est devenue une réalité patente. A l’intérieur du pays, des personnes clés ont donnée la place financière et ses emplois sans contrepartie aucune.
La stratégie de la Weissgeld-Strategie a été accompagnée par deux axes fondamentaux et existentiels qui remettent en question la pérennité de la place financière mais peut-être plus globalement des finances fédérales… Ces axes sont:
- des pouvoirs démesurés offerts à une entité telle que la Finma qui n’hésite pas à miner le moral de ce qui reste de la place.
- la succession de lois qui achève la force du franc suisse et qui font exploser le passif du bilan de la BNS
La combinaison de toutes ces mesures est un cocktail explosif sur le plan financier avec des répercussions économiques, sociales et sociétales qui pourraient ramener la Suisse à un niveau plus bas que terre.
Tout cela était prévisible et prédictible. Nous n’avons cessé de l’écrire.
Pourtant la figure forte de ce désastre annoncé, Eveline Widmer-Schlumpf, a quitté le navire sous les acclamations des chambres fédérales!
Le rôle qu’Eveline Widmer-Schlumpf a joué dans cette descente aux enfers de la place financière suisse mais aussi de ses collaborateurs et de son savoir-faire est évident. Elle n’a été bien sûr qu’un maillon d’un processus bien plus ancien. Mais son rôle a été déterminant dans le naufrage de l’industrie suisse de la finance et la transmettre aux américains (cf compilation d’articles ci-dessous). Les nominations de plusieurs hauts cadres controversés à des postes clés auront été tout aussi cyniques.
Eveline Widmer-Schlumpf a certainement joué un rôle déterminant dans le basculement des forces en présence entre la Confédération et le marché international de la finance. Principales victimes: la BNS, le franc suisse et par cascade l’ensemble de l’économie réelle…. Elle aura été un pivot qui a découplé et multiplié les effets dévastateurs sur le pays.
Et ce n’est pas fini…
Liliane Held-Khawam
Eveline Widmer-Schlumpf, fossoyeuse de la place financière? Chantal Mathez de Senger et Myret Zaki (20 mai 2012)
Bilan critiquait déjà la ministre il y a une année pour sa politique de reculade. Le non accord accepté hier est dans la droite ligne de ce que l’on lui reprochait alors.
Secret bancaire«Le Conseil fédéral a lâché les banques.» «On a baissé le pantalon.» «On a tué la place financière.» «Ce n’est plus possible de travailler ici.» Ces propos reviennent sur toutes les lèvres depuis quelques semaines. Face à l’absence perçue de soutien du Conseil fédéral, la colère des milieux financiers monte, dénonçant un climat délétère pour les affaires, et s’inquiétant pour l’avenir. Car aujourd’hui, les prévisions d’Ivan Pictet en février 2009 sont en voie de se réaliser. L’ancien associé de Pictet & Cie avait estimé que l’abandon de la distinction entre fraude et évasion fiscale coûterait à la Suisse la moitié du secteur financier, qui reculerait de 12 à 6% du PIB.
Or sa part est déjà tombée à 9%. Et les milieux financiers, discrets jusque-là, haussent le ton, même s’ils se sont exprimés le plus souvent sous couvert d’anonymat dans ce dossier. L’avis général est que la Suisse s’est très mal défendue, et que, au minimum, elle aurait dû obtenir l’accès, pour ses banques et intermédiaires, au marché des services financiers européens.
Oswald Grübel avait ouvert le feu des critiques mi-avril dans la presse alémanique. Celui qui a dirigé Credit Suisse, puis UBS, a jugé la politique du Conseil fédéral «irréfléchie», estimant la stratégie de l’argent propre «inutilisable». Regrettant que «la Suisse accepte chaque pression», il a estimé qu’une «suppression de 20 000 emplois est possible». Une semaine plus tard, le nouveau patron d’UBS Sergio Ermotti lui emboîtait le pas, déclarant que «les assauts contre le secret bancaire ne sont rien d’autre qu’une guerre économique livrée à la Suisse depuis 2008».
«Elle a anticipé les demandes de l’OCDE»
Face aux pressions étrangères, le Conseil fédéral s’est montré plus apeuré que stratège. Les concessions sans contreparties se sont aussi accélérées sous l’influence de politiciens à l’avis tranché sur la question. Comme Eveline Widmer-Schlumpf. Arrivée en janvier 2008 à la tête du Département justice et police, elle dirige les Finances dès novembre 2010. Sa position antisecret bancaire tranche alors avec son ancien parti, l’UDC.
Jusqu’à l’adoption de l’article 26 de l’OCDE en mars 2009, la Suisse avait obtenu que les échanges d’informations fiscales soient conditionnels à des demandes très précises des autorités étrangères. «Elle aurait pu se contenter de signer les accords de double imposition que lui demandait l’OCDE, observe Michel Yagchi, gérant indépendant et ancien banquier privé. Toutefois, elle est venue avec les accords Rubik et d’autres concessions avant qu’on ne les lui demande. Elle donne du coup plus que les autres pays, qui ont aussi dû se conformer aux standards de l’OCDE. C’est comme si elle avait anticipé ces demandes. La Suisse aurait dû être plus ferme.»
«Eveline Widmer-Schlumpf donne des choses avant qu’on ne les lui demande, s’insurge à son tour l’avocat Michel Amaudruz. Elle a l’air de lutter contre la Suisse.»
C’est ainsi que le pays finit par accepter d’échanger des informations fiscales non plus sur la base de requêtes précises des Etats étrangers, mais sur la base de vagues demandes groupées en provenance de Washington, et de requêtes françaises dans lesquelles le nom de la banque n’est pas nécessairement précisé. Dans un article de février 2010, alors que les vols de données bancaires se multiplient et que les autorités allemandes et françaises n’hésitent pas à les utiliser, Eveline Widmer-Schlumpf estime «absolument injustifiable» de protéger la soustraction fiscale étrangère et cautionne les méthodes agressives des pays voisins en vue d’obtenir des renseignements fiscaux.
Au même moment, Micheline Calmy-Rey offre, elle aussi, au sujet du trafic de données de clients par l’Allemagne, une réponse surprenante: «Comme ministre des Finances (allemande), oui, j’y aurais réfléchi très fort. Chaque ministre des Finances lutte contre l’évasion fiscale, c’est normal.» Le gouvernement suisse semble alors défendre les adversaires du pays. Sur une scène internationale où le nationalisme économique n’a jamais été aussi fort, et où chaque pays protège jalousement ses secteurs stratégiques, on voit alors la Suisse coopérer contre ses intérêts sans véritable ligne de défense, renonçant à se battre pour la compétitivité de la place financière et envoyant un message hostile aux clients de ses banques.
Au même moment, les deux plus grandes places financières, Londres et les Etats-Unis, récupéraient les parts de marché de la Suisse, tout en conservant l’opacité de leurs propres pratiques en matière de clientèle étrangère, régulièrement dénoncées par Tax Justice Network, et même par le Sénat américain jusqu’en 2007, avant que celui-ci ne se retourne exclusivement contre la Suisse dès 2008. Résultat: entre 2007 et 2012, Genève a dégringolé de 7e place financière mondiale à 13e dans le Global Financial Centres Index, derrière Toronto, Séoul et Boston, tandis que Londres et New York conservent les premier et deuxième rangs.
Un zèle fatal
Durant l’hiver 2010, la conseillère fédérale grisonne franchissait un nouveau pas, en jugeant qu’il était temps aussi d’abolir, pour les Suisses, la distinction entre fraude et évasion fiscale. Nouveau branle-bas dans le monde des entrepreneurs et financiers, dont certains, déjà sous le choc des évolutions liées à leur clientèle, ont fait leurs calculs et trouvé plus d’avantages à se délocaliser à Singapour, en Uruguay ou aux Etats-Unis. L’avocat Michel Amaudruz déconseille dorénavant à ses clients de venir s’installer en Suisse. «Il était certes difficile de résister aux pressions allemandes, l’Allemagne étant le plus grand importateur de produits helvétiques, commente-t-il. Toutefois, la Suisse a su résister pendant la guerre de 39-45, alors avec un peu de rigueur la pilule serait passée sans qu’on ne se mette à plat ventre.»
Ce zèle des dirigeants politiques suisses, fatal au monde des affaires, Benjamin de Rothschild le déplore: «Ce Swiss finish, c’est cela qui va finir les banques!» déclare à Bilan le président de la Banque Privée Edmond de Rothschild. Face aux attaques contre la Suisse, Berne a levé le drapeau blanc… de la propreté. Toute la stratégie s’est orientée sur l’argent propre. Une stratégie tout sauf commerciale. Pire, elle pourrait être contre-productive: «A force de parler de stratégie d’argent propre, réplique Michel Halpérin, on laisse entendre que l’argent détenu dans nos coffres était sale.» L’avocat et ancien président du Parti libéral genevois a toujours affiché ses positions à l’encontre de son parti, qui quant à lui s’est gardé de prendre la défense de la place financière.
Droit d’urgence à outrance
Cette précipitation dans les concessions doit beaucoup à la clause d’urgence. Xavier Oberson s’inquiète en particulier de l’application à tout va de cette dernière, qui permet d’accélérer l’entrée en vigueur d’une loi votée par le Parlement. «Ce droit d’urgence va à l’encontre du principe de légalité et envoie un message très dangereux au reste du monde», estime l’avocat et professeur de droit fiscal à l’Université de Genève.
C’est au gré de concessions urgentes que le Conseil fédéral a d’abord levé le secret bancaire en février 2009 pour livrer 250 clients d’UBS au fisc américain; puis incité les banques à dénoncer leurs propres clients américains non déclarés; puis autorisé mi-avril les onze banques prises dans le collimateur de la justice américaine à livrer des noms d’employés, court-circuitant l’article 271 du Code pénal. La banque HSBC a ainsi dévoilé à la justice américaine les noms de plusieurs de ses employés actifs depuis 2001.
«C’est invraisemblable, s’insurge un ancien employé d’HSBC qui figure sur cette liste, même des collaborateurs qui n’ont jamais vu un client américain de leur vie y sont cités, car ils étaient dans le mauvais département, ou parce qu’ils ont téléphoné deux fois aux Etats-Unis!» Ces personnes ne pourront peut-être plus fouler le sol américain. Pire, «certains se sont vu refuser des places de travail dans d’autres banques au motif que leur nom figure sur la liste HSBC!»
Les concessions rapides de Berne créent un risque juridique tel pour les banques qu’elles en viennent à devancer le législateur par crainte d’être prises en défaut. C’est ainsi que la Banque cantonale de Zoug a annoncé fin avril qu’elle obligerait ses clients étrangers à attester de leur conformité au fisc et leur ferait signer une autorisation de transmettre leurs données à l’étranger en cas d’entraide administrative. Dans un autre cas, une banque de la place de Genève a exhorté ses gérants à ouvrir des comptes français sur leur responsabilité personnelle.
Enfin, plusieurs banques ont même renoncé à accepter de la clientèle française en avril. Tout cela, en échange de quoi? «Ce qu’il aurait fallu négocier, ce sont des contreparties», estime Xavier Oberson, qui très tôt regrettait que la Suisse n’exige pas un «level playing field», c’est-à-dire des discussions sur pied d’égalité entre toutes les places financières transfrontalières. Mais l’inégalité de traitement de la Suisse n’est pas le souci premier d’Eveline Widmer-Schlumpf. En février, elle propose aux banques de faire signer une autodéclaration de conformité fiscale à leurs clients. Mesure que le Conseil fédéral présentera d’ici à septembre.
Objectif: amener les établissements bancaires à ne plus accepter d’argent non déclaré de la part de clients étrangers. «Une telle solution serait pire que l’échange automatique de données», a déclaré au Temps Michel Dérobert, secrétaire général de l’Association des banquiers privés suisses. Face à cette évolution, les banques tentent actuellement de faire passer une contre-proposition, une «Convention de diligence des banques en matière fiscale», sorte de pendant juridique à la Convention de diligence des banques en matière de blanchiment d’argent, instaurée en 1977.
Le même mois intervenait une autre évolution redoutable: la criminalisation, au plan international, de la soustraction fiscale. En Suisse, le Conseil national a adopté par 113 voix contre 58 la loi sur l’entraide administrative fiscale qui intègre les nouveaux standards de l’OCDE parmi lesquels ceux prévoyant des poursuites pour les cas de soustraction fiscale.
La guerre a été perdue le 13 mars 2009
Certes, mi-avril, la présidente de la Confédération a durci le ton dans les négociations: «Nous ne pouvons pas entrer en matière sur de nouvelles concessions à l’égard des Etats-Unis, ni de l’Allemagne d’ailleurs, parce qu’elles ne seraient pas compatibles avec notre droit.» Mais la guerre, elle, a été perdue le 13 mars 2009. Date où laquelle le Conseil fédéral accepte sans unanimité d’abandonner la distinction entre fraude et évasion fiscale, pilier du secret bancaire depuis plus de septante-cinq ans. Une brèche est ouverte, qui ne fera plus que s’élargir. Partout dans le secteur financier à Genève, l’envie domine de dire stop!
D’autant qu’au même moment, des réglementations sans précédent affectent le métier (Bâle III sur les exigences de fonds propres des banques, la loi révisée sur les fonds de placement (LPCC), la directive européenne AIFM dans le domaine de la gestion alternative, la loi fiscale extraterritoriale américaine FATCA), menaçant de mettre hors circuit nombre de petites banques et de gérants indépendants. «Il manque, au niveau du private banking, un lobby qui puisse faire passer l’idée que certaines réglementations mises en place ne correspondent pas du tout au type d’activités que l’on pratique», estime Benjamin de Rothschild.
Responsabilités partagées
La responsabilité de cette débâcle n’incombe pas uniquement au Département des finances mais également aux grandes banques et aux Chambres fédérales. La première livraison de noms de clients d’UBS aux Américains avait l’accord du Parlement, mais également de tous les partis, libéral et UDC inclus, même si cette dernière a retourné sa veste, s’opposant seule, ce 12 mars, à la ratification finale de l’accord du 19 août 2009 sur la livraison des 4450 noms de clients UBS. Quelles auraient été les conséquences pour la Suisse si l’accord UBS - Etats-Unis n’avait pas été signé?
Pour Michel Halpérin, elles n’auraient pas été aussi graves que l’on veut bien le prétendre. «Eventuellement, quelques établissements bancaires auraient perdu leur accès au marché américain, mais la Suisse se serait relevée.» L’Association suisse des banquiers (ASB), à travers son président Patrick Odier, n’a pas non plus défendu le secret bancaire. Au lieu de se constituer en lobby efficace, l’association faîtière s’est contentée de saluer la stratégie de conformité fiscale adoptée par la Suisse. Elle l’a même devancée.
Patrick Odier avait été le premier, en novembre 2009, à proposer l’idée de faire signer aux clients étrangers un «certificat de conformité fiscale», ce qui avait soulevé de vives protestations sur la place, amenant Ivan Pictet à déclarer quelques jours plus tard: «il est impensable, du moins tant que je serai là, de faire signer à nos clients un texte stipulant qu’ils ont bien déclaré leur argent au fisc». Aujourd’hui, l’obligation d’autodéclaration fiscale des clients, une pratique sans précédent, est en passe de devenir une réalité, sans que nul ne s’aventure à s’y opposer publiquement.
Clairement, le président de l’ASB a préféré adopter un profil bas, en comparaison à son prédécesseur Pierre Mirabaud, se gardant de critiquer les attaques subies par la place. Les enjeux étaient tels, y compris pour son propre établissement, présent aux Etats-Unis, qu’il a préféré se montrer coopératif en toutes circonstances, déclarant au sujet de la justice américaine qu’elle ne faisait que son travail en cherchant à attraper les fraudeurs fiscaux américains. Dans cette désunion générale, le Parti libéral-radical (PLR) a quant à lui cédé aussi à la quête de «blancheur» en se désolidarisant tout bonnement du secteur bancaire.
«Nous ne sommes pas le parti des banques», a lancé son président Philipp Müller, reprenant mot pour mot la phrase déjà prononcée il y a un an par son prédécesseur Fulvio Pelli. Quoi qu’il en soit, la prise de conscience des milieux financiers, et même celle du grand public, qui commence à réaliser que la Suisse s’est peut-être «fait avoir», intervient après la bataille. Certains estiment néanmoins que tout n’est pas perdu et se mobilisent pour agir.
EN DATES
A partir de mars 2009, le Conseil fédéral a imposé aux banques suisses de livrer de plus en plus d’informations sur leur clientèle étrangère.
13 mars 2009 La Suisse accepte le standard de l’OCDE (article 26). Les clients étrangers ne sont alors plus couverts par le secret bancaire. Mais la Suisse n’échange des informations qu’à des conditions restrictives.
Janvier 2010 Le Tribunal administratif fédéral juge que l’accord Suisse-USA sur la livraison de 4450 noms de clients UBS viole le droit suisse. L’accord adopte la définition américaine de fraude pour des cas de soustraction fiscale.
13 février 2011 Sous la pression de l’OCDE, Berne élargit les conditions de l’échange d’informations. Le nom du contribuable n’est plus strictement exigé, et celui de la banque seulement «dans la mesure où il est connu».
13 décembre 2011 Face aux exigences des Etats-Unis, la Suisse accepte de livrer des informations sans que le nom du contribuable ne soit fourni, ni celui de la banque, mais sur la base de «demandes groupées», qui se rapprochent des «fishing expeditions» (recherche abusive de preuves).
Mi-avril 2012 Le Conseil fédéral autorise les onze banques prises dans le collimateur de la justice américaine à livrer les noms de leurs employés ayant eu un contact avec des clients américains, court-circuitant l’article 271 du Code pénal suisse.
Eveline Widmer-Schlumpf est allée trop loin. Par Liliane Held-Khawam – Le Temps, 12.06.2013
Stabilité. Voilà un mot magique qui a longtemps qualifié la Suisse, ses institutions, son économie et sa politique financière et monétaire. De nombreux spécialistes y ont vu une des raisons du miracle économique helvétique.
L’arrivée d’Eveline Widmer-Schlumpf à la tête du Département des finances (DFF) est en train de changer la donne.
Depuis 2010, la conseillère fédérale multiplie les chantiers dans tous les sens sans qu’une stratégie globale ou partielle ne soit communiquée. Les dossiers sont lourds et contraignants pour le pays. Tout semble urgent.
La seule certitude est que, le jour où elle quittera son poste, la restructuration du pays aura été profonde, cinglante, chaotique et induite par la volonté d’une seule personne.
Il y aura un avant et un après-Eveline Widmer-Schlumpf. En attendant, ses actions choquent de plus en plus, aussi bien sur le fond que sur la forme. Eveline Widmer-Schlumpf n’en a cure. Sa résilience résiste à tout.
Eveline Widmer-Schlumpf polarise la vie publique. Son monde semble se diviser entre les tenants de la finance (grandes banques too big to fail), de la puissance (Etats-Unis, Union européenne…) et du pouvoir (Fonds monétaire international, OCDE…), d’une part, et le peuple suisse, ses élus et ses PME, d’autre part.
Son comportement semble aussi à géométrie variable. Son style de négociation avec les puissants relève d’une soumission doublée de grande générosité. On la voit multiplier concessions et chèques en blanc sans contrepartie aucune.
Face au peuple et à ses élus, Eveline Widmer-Schlumpf pratique le «there is no alternative» cher à Mme Thatcher. Le problème de la méthode est qu’Eveline Widmer-Schlumpf a, elle, un problème de légitimité pour se permettre de contrer l’opinion publique et de se passer de soumettre sa politique aux référendums.
Son parti ne représente que 4,5% d’élus au National et 2% aux Etats. Sa présence même au Conseil fédéral relève du miracle.
Au niveau opérationnel, le citoyen tend à perdre le capital de sympathie en cherchant en vain sa stratégie. Quant à sa communication, elle est dominée par le secret et l’opacité exigeant ainsi une confiance aveugle hélas évaporée.
Propreté de l’argent, préservation des emplois, règlement des litiges, respect du droit… sont omniprésents dans ses discours. Ses actions laissent supposer l’inverse. Il semble par exemple qu’une petite équipe de patrons de banque, avocats et autres fiduciaires (1)pas forcément suisses aient instauré un système encourageant des Américains à frauder le fisc. Ces personnes seraient connues des autorités américaines et suisses. Elles risqueraient gros aux Etats-Unis. Les infractions seraient graves et répétées.
En quoi leurs déboires privés concernent-ils le citoyen suisse? Pourquoi Eveline Widmer-Schlumpf en fait-elle une affaire d’Etat? Pourquoi ces personnes ne sont-elles pas livrées à la justice américaine?
Cet amalgame entre le privé et le public est un drame pour la Suisse et pour ses citoyens, que l’on charge – moralement et financièrement – de manière indue d’actes répréhensibles.
Eveline Widmer-Schlumpf voudrait faire admettre, mais sans informer (!), un accord avec les Etats-Unis. Elle y autoriserait les banques à dénoncer des collaborateurs. Elle investirait donc d’une autorité publique ceux-là mêmes qui ont mis le monde à genoux par des pratiques apparentées à un système inqualifiable!
On nous annonce 12 banques. Ce ne serait donc pas un fait isolé mais un système.
De toute façon, des employés de banque n’auraient pu initier sans leur hiérarchie un mouvement d’une telle ampleur transnationale. Ce serait donc cette même hiérarchie qui dénoncerait ses collaborateurs? Elle aurait intérêt à envoyer au feu américain les personnes qui en savent le moins. Eveline Widmer-Schlumpf serait prête à sacrifier les droits de citoyens innocents!
Mis à part l’aspect insoutenable et antidémocratique de la chose, la Suisse passerait aux yeux du monde pour une république bananière.
L’effet sur sa place financière est garanti. Les Etats-Unis, qui défendent leur industrie financière, le savent bien. Côté suisse, on sacrifie toute une industrie de pointe pour quelques brebis galeuses.
Eveline Widmer-Schlumpf engagerait le contribuable pour le paiement de milliards de francs (10?) d’amendes.
UBS et Crédit Suisse seraient déjà garanties quelle que soit leur gestion (malversations incluses) grâce à la loi too big to fail d’Eveline Widmer-Schlumpf.
Aucune sanction ni aucune protection d’emplois n’y sont prévues. Le chèque en blanc est doublé d’immunité totale. Fortes de ce soutien sans limite, ces banques se déploient à Singapour. Le secret bancaire y est intact et échappe à la stratégie de l’argent propre d’Eveline Widmer-Schlumpf. La BNS, toute dédiée à leur cause, les y a rejointes en mars.
La politique d’Eveline Widmer-Schlumpf qui mélange intérêt public et haute finance internationale est indigeste. Ses échecs répétés détruisent sérénité et stabilité.
Envisager de priver des citoyens de leurs droits est un dérapage grave. Si cette technique de forcing antidémocratique doit réussir, il faudra se préparer à une descente aux enfers. Les crises gagneront en ampleur et en quantité (la France s’y met). La démocratie sera en lambeaux.
Combien de temps la Suisse peut-elle encore supporter Eveline Widmer-Schlumpf à la tête du DFF?
1. « Affaire UBS: Série noire », par Yves Steiner, Lombard Street.
Eveline Widmer-Schlumpf: testament politique en cinq dates Michel Guillaume
Interview. Les uns l’ont qualifiée d’«opportuniste» et de «traîtresse à la patrie». Les autres, la grande majorité, ont salué et même admiré son courage d’aller de l’avant, malgré tous les vents contraires. En exclusivité, Eveline Widmer-Schlumpf livre ici son testament politique à partir de cinq moments clés de sa carrière.
Lorsqu’elle a démissionné le 31 octobre dernier, le ministre des Finances allemand, Wolfgang Schäuble, l’a appelée: «Eveline, que fais-tu»? Le 9 décembre, l’Assemblée fédérale l’a ovationnée durant une bonne minute. Nul doute qu’Eveline Widmer-Schlumpf sera regrettée. Rarement une conseillère fédérale aura été au cœur d’événements ayant marqué l’histoire suisse de la dernière décennie. Sauvetage d’UBS, fin du secret bancaire, sortie du nucléaire: la Grisonne est à la manœuvre, toujours dans le but de trouver des solutions tournées vers l’avenir. Dans une interview exclusive réservée à L’Hebdo, elle revient sur cinq dates qui ont marqué sa carrière politique. A commencer par ce jour de mai 2004 lors duquel elle a acquis une notoriété nationale en déclenchant le référendum des cantons, une première en Suisse.
16 mai 2004 le peuple rejette largement le paquet fiscal, qui propose des allègements sur l’imposition de la famille, de la propriété du logement et le droit de timbre
Présidente de la Conférence des directeurs des finances, vous lancez le référendum des cantons. Pourquoi?
En été 2003, le soir au bar d’un hôtel, avec plusieurs collègues dont le Saint-Gallois Peter Schönenberger et le Soleurois Christian Wanner, nous avons décidé de lancer ce référendum. En effet, les Chambres fédérales se sont immiscées dans un domaine relevant de la souveraineté des cantons en les privant d’une partie de leurs recettes. Ce fut une bonne expérience. Nous avons prouvé qu’en étant unis, les cantons pouvaient gagner une votation. Sur les affiches de la campagne, nous avons montré une bombe, celle qu’était ce paquet qui menaçait le fédéralisme.
Ce référendum vous a valu le surnom de «Jeanne d’Arc des cantons».
En tant que présidente de cette conférence, je me suis beaucoup engagée pour défendre les intérêts des cantons, en prenant soin de ne jamais étaler nos divergences en public. A l’époque déjà, nous avions eu une discussion très animée sur la péréquation financière entre cantons contributeurs et bénéficiaires.
Justement, l’actuelle dispute entre cantons «forts» et «faibles» vous inquiète-t-elle?
Ce débat m’attriste. La cohésion nationale est ici en jeu. Ce pays ne peut fonctionner que si ses cantons se montrent solidaires entre eux, en dépassant les calculs d’épicier. Sans péréquation financière, nous aurions quelques régions fortes et des contrées périphériques livrées à elles-mêmes. Cette solidarité doit être réciproque. Il ne faut pas non plus que les cantons bénéficiaires majorent les autres.
Comment voyez-vous l’avenir du fédéralisme?
Je constate deux phénomènes: d’une part, une tendance sociétale qui pousse les cantons à travailler davantage ensemble; d’autre part, plusieurs initiatives populaires – comme celles sur la musique ou le sport – qui obligent la Confédération à prendre des mesures empiétant sur les compétences cantonales. Il serait temps de rouvrir le dossier sur la répartition des charges entre Berne et les cantons. Si nous ne le faisons pas, nous risquons d’aller vers l’harmonisation et la centralisation. Ce serait dommage, car le fédéralisme est un élément essentiel du succès de notre système.
L’ancien chef de l’Office fédéral du développement territorial, Pierre-Alain Rumley, a lancé l’idée d’une Suisse réduite à 13 cantons. Pouvez-vous l’imaginer ainsi?
Pas aujourd’hui ni demain. Mais, oui, je peux m’imaginer une Suisse composée de régions toutes suffisamment fortes pour affronter les défis de l’avenir. Voici vingt ans, dans mon canton des Grisons, il était tabou de vouloir faire fusionner des communes entre elles. Nous leur avons dit: «Il le faut, car vous êtes trop petites.» Que s’est-il passé? De 2007 au 1er janvier 2016, le nombre de communes a passé de plus de 200 à 114, et celles-ci sont beaucoup mieux armées pour assumer leurs compétences.
Un jour, la même discussion aura lieu au niveau des cantons. Je ne souhaite pas supprimer l’échelon des cantons. Mais il faudra davantage réfléchir en termes de régions. Je pense que mes petits-enfants mèneront ce débat.
11 avril 2008 12 000 personnes manifestent leur soutien à Eveline Widmer-Schlumpf sur la place fédérale à Berne à l’initiative de l’organisation féminine Alliance F
Quel souvenir gardez-vous de ce jour-là?
Regardez cela! (Elle montre un tableau en face de son bureau.) C’est une lithographie du Cri d’Edvard Munch, qu’Alliance F m’a offerte ce jour-là. Cette manifestation fut un moment clé dans ma carrière de conseillère fédérale. La présence de toutes ces femmes et ces hommes m’a énormément aidée. Même si je ne l’ai pas montré, j’ai beaucoup souffert à cette époque. Je ne sais pas ce qui se serait passé sans cette vague de solidarité.
Comment s’est déroulée votre entrée en fonction?
Les deux premiers mois, c’est allé. Puis la TV alémanique a diffusé le documentaire de Hansjürg Zumstein, qui n’a pas facilité les choses. C’est là que l’association Alliance F, alors présidée par Rosmarie Zapfl, a décidé d’organiser cette manifestation de soutien. Il y avait d’anciennes politiciennes comme Monica Weber, Judith Stamm, Cécile Bühlmann ou Joy Matter, mais aussi des femmes paysannes en costume qui n’avaient jamais fait de politique. Toutes sont venues à Berne pour montrer qu’elles se révoltaient contre ceux qui attaquaient les institutions en ne respectant pas une décision de l’Assemblée fédérale.
(…)
22 septembre 2008 jour de la première séance de crise de l’opération de sauvetage d’UBS
Samedi 21 septembre, le ministre des Finances Hans-Rudolf Merz est victime d’un malaise cardiaque et vous devez le remplacer au pied levé. Comment avez-vous vécu la crise UBS?
Ce n’est pas la première fois que j’étais confrontée à une telle opération critique. En 2001, j’ai vécu l’affaire Swissair de près, car je venais d’accéder à la tête de la Conférence des directeurs des finances une semaine plus tôt. Le conseiller fédéral Kaspar Villiger à l’époque m’a téléphoné pour avoir l’assurance que les cantons seraient unis pour participer au sauvetage de Swissair, ce qu’une partie d’entre eux ont fait. J’avais donc déjà réalisé cette expérience qu’en cas de crise, il faut serrer les rangs et agir vite.
Mais la rumeur a couru que Hans-Rudolf Merz était opposé à une intervention de l’Etat!
Je ne commente pas les rumeurs. Avec le président de la Confédération d’alors, Pascal Couchepin, qui m’a beaucoup soutenue, nous nous sommes réunis une première fois dans mon bureau le dimanche 22 septembre. Ce jour-là, nous apprenons qu’UBS a des problèmes de liquidités, mais nous ne savions pas encore si l’Etat devrait intervenir. Très vite, nous avons esquissé des scénarios possibles.
Vous n’avez jamais hésité lorsque le président d’UBS, Peter Kurer, vous appelle le 12 octobre pour solliciter l’aide de l’Etat?
Pour moi, il était clair qu’il n’y avait aucune autre option, tant la faillite d’UBS aurait provoqué des dégâts considérables pour l’économie, laquelle aurait mis des années à s’en remettre. Le président de la Banque nationale suisse (qui reprend les actifs toxiques d’UBS, ndlr), Jean-Pierre Roth, a toujours dit: «La BNS est éternelle et a donc le temps d’écouler ces papiers.» En fin de compte, nous avons réalisé un bénéfice de 1,2 milliard avec ces actifs. (…)
Etes-vous une «étatiste»?
Je le suis dans la mesure où j’estime que l’Etat doit garantir à tous ses citoyens une vie digne. Nous avons en Suisse un bon filet social. Nous devons désormais réussir à assurer la pérennité de l’AVS et du deuxième pilier, un des grands chantiers de demain. Je pense aussi que l’Etat doit offrir à chaque jeune une bonne formation, ce qui passe par une école publique de qualité. (…)
19 décembre 2012 Eveline Widmer-Schlumpf annonce que la Suisse doit envisager de passer à l’échange automatique des données
Ce jour-là, vous faites le bilan de votre année présidentielle et vous lâchez cette information spontanément. Comment cela s’est-il produit?
Je m’en souviens très bien, car j’ai ruiné les vacances de Noël de toute ma famille! Je n’ai pourtant fait que répondre sincèrement à la question d’un journaliste.
Mais vous deviez vous attendre à cette question! En Allemagne, le Bundesrat vient alors de rejeter l’accord Rubik, qui était une manière de préserver le secret bancaire tout en fiscalisant les avoirs des clients étrangers.
Je vous l’ai dit, j’ai parfois manqué de diplomatie dans ma carrière. Après le refus allemand, nous n’avions plus d’autre solution que d’envisager l’échange automatique des données. J’ai alors reçu une avalanche de critiques, parfois hypocrites. Nombreux sont les gens qui pensaient: «Elle a raison, mais elle ne doit pas dire cela si vite.»
N’est-ce pas en octobre 2008 déjà que la Suisse a commis l’erreur capitale de ne pas assister à une réunion de l’OCDE à Paris sur l’échange automatique d’informations?
A cette époque, je pilotais le dossier du sauvetage d’UBS. Dans mon département, les responsables de ce dossier ont estimé qu’il n’était pas nécessaire d’y aller. Ce sont d’excellents collaborateurs auxquels j’ai toujours fait confiance. Aujourd’hui, cela n’a pas de sens de revenir sur cette question.
Avez-vous cru en la stratégie Rubik?
J’étais sceptique. Bien sûr, cette stratégie d’accords bilatéraux avait le mérite de l’efficacité. Mais lors de mes nombreux entretiens avec mon homologue allemand, Wolfgang Schäuble, j’ai eu l’impression que nous avions proposé ce modèle trop tardivement. Ce que voulaient les Allemands en 2012, c’était de la transparence, pas de l’efficacité. Lorsque le Bundesrat a rejeté l’accord, il était clair que nous devions changer de stratégie. Je suis réaliste. On ne peut pas nier la réalité.
Les banquiers ne vous ont pas portée dans leur cœur. Comment avez-vous vécu votre relation avec eux?
Le problème, c’est qu’ils n’ont pas parlé d’une seule voix. Certains – comme Pierin Vincenz (Banque Raiffeisen) – ont reconnu qu’il fallait trouver des solutions d’avenir, tandis que d’autres ont réclamé mon départ. Cela dit, j’ai apprécié l’engagement du président de l’Association suisse des banquiers (ASB), Patrick Odier. (…)