Retour à la case prison. Les procureurs japonais ont procédé ce matin à une quatrième arrestation de Carlos Ghosn, soupçonné cette fois d’abus de confiance concernant l’utilisation abusive des fonds de la société pour payer un distributeur omanais. La rumeur enflait la veille. Et peu avant six heures, ils se sont présentés devant l’appartement du quartier de Shibuya à Tokyo, où l’ancien dirigeant de l’alliance Renault Nissan Mitsubishi a profité d’une courte liberté sous caution.

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«Mon arrestation ce matin est révoltante et arbitraire, a déclaré de l’ex-magnat de l’automobile dans un communiqué préparé à l’avance. Elle fait partie d’une nouvelle manœuvre de certains individus chez Nissan qui vise à m’empêcher de me défendre en manipulant les procureurs. Pourquoi venir m’arrêter alors que je n’entravais en rien la procédure en cours sinon pour me briser ? Je suis innocent.»

Yacht de luxe et d’investissements dans une start-up

De son côté, interrogé par la chaîne de télévision publique NHK, le président de Nissan Hiroto Saikawa s’est dit «choqué». Il a affirmé aux journalistes qu’il venait d’apprendre la nouvelle et qu’il était à court de mots, surpris devant la série de révélations.

Carlos Ghosn était apparu hier sur twitter pour annoncer, en anglais et japonais, une conférence de presse la semaine suivante, le 11 avril. «Je me tiens prêt à dire la vérité à propos de ce qui se passe», écrivait-il brièvement. Sauf nouveau rebondissement, la rencontre ne devrait donc pas avoir lieu. L’ex-magnat de l’automobile pourrait en effet rester de nouveau une vingtaine de jours en garde à vue.

Selon les médias japonais, cette dernière arrestation concerne le transfert présumé à partir de 2009 de 3,5 milliards de yens (28 millions d’euros environ) à un concessionnaire omanais Suhail Bahwan Automobiles. L’argent ne proviendrait pas directement de Nissan mais d’une enveloppe mise à la disposition de Carlos Ghosn par le constructeur nippon et baptisée la «réserve du PDG».

Les procureurs affirment qu’une partie de ces fonds aurait ensuite profité indirectement au dirigeant et à sa famille, notamment à travers l’achat d’un yacht de luxe et d’investissements dans une start-up basée à San Francisco aux Etats-Unis et dirigée par son fils Anthony Ghosn. Des flux financiers similaires ont été signalés ces derniers jours par Renault à la justice française, à l’issue d’une enquête interne du constructeur.

Jamais le Japon n’avait vécu un feuilleton judiciaire avec de tels rebondissements. Pour rappel, le Franco-Libano-Brésilien a été arrêté une première fois le 19 novembre de manière spectaculaire à son arrivée en jet privé sur le tarmac de l’aéroport d’Haneda. Il est soupçonné d’avoir minoré ses revenus dans des rapports financiers de 2010 à 2015. Toujours en détention, il a été arrêté une seconde fois le 10 décembre pour le même motif mais pour les années allant de 2015 à 2018. L’ensemble représenterait un montant de plus de neuf milliards de yens (70 millions d’euros).

Dans la foulée, coup de théâtre, le tribunal de Tokyo a rejeté la requête du parquet d’étendre sa garde à vue. Alors que sa détention semblait donc prendre fin, Carlos Ghosn a été arrêté une troisième fois le 21 décembre pour abus de confiance, il est soupçonné d’avoir imputé à Nissan des pertes réalisées sur ses placements personnels et d’avoir rétribué, via une filiale du constructeur d’automobile, un ami saoudien qui s’était porté garant pour le sortir de cette mauvaise passe.

Un procès annoncé pour septembre

L’ancien patron tout-puissant de 65 ans a été mis en examen pour l’ensemble de ces charges. Il a toujours clamé son innocence et estime avoir été victime d’un «complot» ourdi par Nissan pour faire échouer son projet de rapprochement avec Renault. Il a essuyé plusieurs refus puis a finalement obtenu une libération sous caution. Après 108 jours de détention et le versement en liquide d’un milliard de yens, soit près de huit millions d’euros, il a enfin quitté le 6 mars la prison de Kosuge à Tokyo. Il était alors en tenue d’ouvrier, afin de tenter de déjouer l’attention des journalistes massés devant la prison, et d’éviter qu’ils ne le suivent jusqu’à son nouveau lieu de résidence. Peine perdue, le déguisement a eu pour seul effet d’amuser les médias.

Le procès de Carlos Ghosn a été annoncé pour le mois de septembre. Mais mardi devant la presse, son avocat Junichiro Hironaka avait précisé qu’en cas de nouvelle arrestation, cette échéance pourrait être repoussée de plusieurs mois. Réputé pour avoir obtenu l’acquittement de plusieurs clients de haute volée, le juriste a également demandé que le procès de son client soit dissocié de celui de Nissan et de son ex bras Greg Kelly, sinon la procédure ne serait pas «équitable» selon lui. «Nissan est, sur le papier, un accusé mais en réalité, il a pris depuis le début le parti des procureurs, a insisté l’avocat. Ceci est extrêmement rare.»

Dans l’immédiat cette quatrième arrestation, très rare également, ne va pas manquer de relancer les critiques internationales sur le système judicaire japonais.

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