Des produits contenant un néonicotinoïde viennent d’être validés, contournant l’interdiction qui devait intervenir en septembre 2018. C’est une nouvelle bombe dans le dossier ultra-explosif des pesticides. Pendant que tous les projecteurs sont braqués sur le glyphosate, la très toxique substance active de l’herbicide Roundup de Monsanto qui doit être réautorisée (ou pas) dans l’UE, les industriels n’oublient pas d’avancer leurs pions sur les tout aussi toxiques néonicotinoïdes, une autre famille de pesticides dits «tueurs d’abeilles». Et ils viennent de remporter une victoire majeure, mettant dans l’embarras le ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot. Biodiversité. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail
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Des produits contenant un néonicotinoïde viennent d’être validés, contournant l’interdiction qui devait intervenir en septembre 2018.
C’est une nouvelle bombe dans le dossier ultra-explosif des pesticides. Pendant que tous les projecteurs sont braqués sur le glyphosate, la très toxique substance active de l’herbicide Roundup de Monsanto qui doit être réautorisée (ou pas) dans l’UE, les industriels n’oublient pas d’avancer leurs pions sur les tout aussi toxiques néonicotinoïdes, une autre famille de pesticides dits «tueurs d’abeilles». Et ils viennent de remporter une victoire majeure, mettant dans l’embarras le ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot.
Biodiversité. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a en effet autorisé en septembre la mise sur le marché en France de deux pesticides (le Closer et le Transform) contenant du sulfoxaflor, une molécule produite par l’américain Dow Agro Sciences. Or, mine de rien, ces deux autorisations «vident de sa substance l’interdiction des néonicotinoïdes» à partir du 1er septembre 2018 prévue par la loi sur la biodiversité de 2016 (un engagement que le candidat Macron avait pourtant promis de maintenir), s’alarment les apiculteurs de l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf), qui ont découvert l’affaire mardi.
«C’est extrêmement grave, nous sommes révoltés, abasourdis, assommés», a lancé Gilles Lanio jeudi matin, lors d’une conférence de presse prévue de longue date pour alerter une énième fois sur une année catastrophique pour les abeilles en France. Et Gilles Lanio de déclarer : «On se moque de nous, je n’en reviens pas. C’est scandaleux, honteux et irresponsable. Cela s’est fait en catimini, je ne sais pas qui a fait ce coup-là, mais c’est pas mal…»
L’astuce est bien trouvée. Comme le fait Dow Agro Sciences, il suffit de nier le fait que le sulfoxaflor est un néonicotinoïde, puisque ces derniers ont désormais mauvaise presse. Omniprésents dans l’environnement et dans le corps humain (leurs effets sur le développement du cerveau, en particulier des enfants, inquiètent), ils sont aussi présents dans 75 % des miels produits dans le monde. Et ce sont eux qui seraient les principaux responsables de l’effondrement de 80 % en trente ans des populations d’insectes en Europe, comme le suggère une étude publiée mercredi dans la revue PLoS One. Pourtant, «plusieurs publications scientifiques établissent que le sulfoxaflor appartient bien à la famille des néonicotinoïdes», insiste l’Unaf. L’industriel a encore démenti jeudi soir, parlant d’une «nouvelle famille chimique».
L’affaire est d’autant plus scandaleuse, selon Henri Clément, porte-parole de l’Unaf, «qu’on est toujours dans le double langage : d’un côté le gouvernement dit : « On préserve l’environnement, les abeilles, on prend soin de la nature et de votre santé », et puis, par-derrière, on poursuit cette politique d’agrochimie, avec tous les impacts qu’elle peut avoir sur le plan environnemental, de la santé, etc.»
L’ancienne ministre de l’Ecologie de François Hollande et actuelle députée PS Delphine Batho explique à Libération : «La loi sur la biodiversité dit que les produits à base de néonicotinoïdes seront interdits à partir de 2018, avec des dérogations possibles jusqu’au 1er juillet 2020, mais elle ne dit pas que le gouvernement doit prendre un décret pour dire quelles substances – ou molécules – entrant dans la composition de ces produits sont des néonicotinoïdes. Cette liste n’a pas de raison d’exister car la réglementation des substances est de la compétence européenne.»
Batho poursuit : «Cette affaire ne date pas de ce matin. Depuis des semaines, on savait que ce projet de décret était très sujet à caution : comme par hasard, le sulfoxaflor n’y figure pas.»
Gilles Lannio, de l’Unaf, raconte : «Dès qu’on a appris l’autorisation de mise sur le marché de l’Anses, on a contacté le cabinet de Hulot. Ils sont franchement embarrassés. […] On peut se demander aujourd’hui s’il y a un pilote dans l’avion sur ces sujets.»
Collègues. Au cabinet de Nicolas Hulot, on confirme que le ministre a bel et bien apposé sa signature sur le décret, aux côtés de ses collègues de l’Agriculture et de la Santé, ce texte permettant «de sécuriser l’interdiction des néonicotinoïdes, pour qu’elle soit opérationnelle au niveau européen». Quant à l’autorisation des deux produits contenant du sulfoxaflor par l’Anses, le ministère de l’Ecologie «savait que c’était dans les tuyaux» : «Cela ne nous plaît pas du tout, donc on cherche des solutions.» Une réaction officielle est prévue ce vendredi.
Fin juin, le premier «couac» gouvernemental, et premier bras de fer entre Hulot et l’un de ses collègues, avait concerné… les néonicotinoïdes. Le ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert, avait dit vouloir revenir sur leur interdiction. Aussitôt contredit par Hulot, le Premier ministre avait apparemment donné raison à ce dernier… tout en laissant la porte ouverte aux lobbys.
«La question politique de fond est : quel est le pouvoir du ministère de l’Environnement par rapport au ministère de l’Agriculture ? interroge Henri Clément. Depuis vingt-cinq ans, en règle générale, c’est le ministère de l’Agriculture et sa cohorte de la FNSEA qui ont le pouvoir sur toutes les décisions du monde agricole. Soyons clairs : dire l’inverse est une aberration. Nicolas Hulot est ministre d’Etat, on aimerait bien qu’il arrive à s’imposer.» S’il ne le faisait pas, sur cette nouvelle affaire, ce ne serait pas une couleuvre, qu’il avalerait, mais un anaconda.