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Réflexions sur l’indépendance des banques centrales. Le cas de la BNS. Noël Benalou

Summary:
La décision de la BNS d’abolir le taux plancher n’est-elle pas la politique appropriée pour inciter les acteurs économiques à privilégier les mesures structurelles en faveur de l’investissement de productivité, de l’innovation et de la formation du capital humain? Sachant que la politique industrielle de type colbertiste ne fait pas partie de la culture économique de la Suisse. D’autre part l’histoire nous montre que l’économie suisse s’est toujours adaptée à l’appréciation du franc en se spécialisant dans les industries à forte valeur ajoutée et en privilégiant la compétitivité hors prix (DP 2095). Compte tenu de ces considérations, le risque de désindustrialisation et les difficultés temporaires rencontrées par certaines entreprises exportatrices ne sont-ils pas exagérés dans le but d’obtenir le soutien de l’Etat sous forme de subventions à l’exportation ou de garantie publique contre les risques de change? La décision prise la BNS de mettre fin à l’arrimage du franc à l’euro continue de susciter des interrogations dans les milieux économiques, politiques et syndicaux, en raison de ses conséquences sur l’économie réelle et de l’incertitude qu’elle a engendrée en matière de taux de change. Cependant, force est de constater que la politique monétaire n’est pas totalement responsable des difficultés réelles ou supposées de certains acteurs économiques.

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La décision de la BNS d’abolir le taux plancher n’est-elle pas la politique appropriée pour inciter les acteurs économiques à privilégier les mesures structurelles en faveur de l’investissement de productivité, de l’innovation et de la formation du capital humain? Sachant que la politique industrielle de type colbertiste ne fait pas partie de la culture économique de la Suisse. D’autre part l’histoire nous montre que l’économie suisse s’est toujours adaptée à l’appréciation du franc en se spécialisant dans les industries à forte valeur ajoutée et en privilégiant la compétitivité hors prix (DP 2095). Compte tenu de ces considérations, le risque de désindustrialisation et les difficultés temporaires rencontrées par certaines entreprises exportatrices ne sont-ils pas exagérés dans le but d’obtenir le soutien de l’Etat sous forme de subventions à l’exportation ou de garantie publique contre les risques de change?

La décision prise la BNS de mettre fin à l’arrimage du franc à l’euro continue de susciter des interrogations dans les milieux économiques, politiques et syndicaux, en raison de ses conséquences sur l’économie réelle et de l’incertitude qu’elle a engendrée en matière de taux de change. Cependant, force est de constater que la politique monétaire n’est pas totalement responsable des difficultés réelles ou supposées de certains acteurs économiques. Ainsi tous les secteurs ne sont pas logés à la même enseigne et les difficultés rencontrées par certaines entreprises ne semblent pas avoir une cause monétaire liée à la force du franc. Par exemple, la baisse de la demande adressée à l’industrie horlogère s’expliquerait par la moralisation de la vie politique en Chine, par le ralentissement de la croissance et sans doute par la chute du tourisme d’achats en raison notamment des attentats de Paris. De même les difficultés du secteur du tourisme ne sont qu’en partie d’origine monétaire, car ce secteur est en réalité confronté à la concurrence de la France et de l’Autriche. Pour survivre, ce dernier est condamné à innover, sachant que la force actuelle du franc ne lui facilite pas la tâche en l’obligeant à raboter ses marges via des remises de prix.p

Quelques propositions de solutions

Face à la persistance de la vigueur du franc et à ses inconvénients à court terme, les propositions susceptibles de sortir la Suisse de cette mauvaise passe prolifèrent. Mais elles comportent toutes des avantages et des inconvénients et ne semblent donc pas faire l’unanimité dans les milieux économiques et politiques. Ainsi, pour le parti socialiste, l’Union syndicale suisse et certains exportateurs, la réintroduction d’un nouveau plancher serait une solution appropriée afin de préserver la croissance et les emplois en réduisant l’incertitude sur le taux de change. De toute manière la BNS est contrainte d’intervenir sur le marché des changes avec ou sans objectif de change explicite même s’il est vrai que l’absence d’un lien fixe officiel avec l’euro lui confère une marge de manoeuvre. Cependant, une telle solution n’est plus praticable, car elle se heurterait à un sérieux problème de crédibilité et pourrait nuire aux autorités monétaires en les mettant dans une situation de faiblesse face aux spéculateurs.

Probablement l’alternative à cette proposition résiderait dans la mise en place d’un contrôle de capitaux et la taxation des activités spéculatives. Mais là encore, force est de remarquer que ces instruments sont peu compatibles avec la culture économique libérale de la Suisse. Bien évidemment, celle-ci n’est pas figée pour l’éternité et pourrait donc évoluer sous la pression d’événements sur lesquels la Suisse ne semble pas avoir de prise comme par exemple la croissance et les divers chocs adverses affectant ses principaux partenaires commerciaux, en raison du fort degré d’extraversion de son économie et d’un marché de capitaux de dimension internationale.

L’autre idée qui revient sans cesse sur le tapis est la création d’un fonds souverain à l’instar de celui de la Norvège afin de compenser le manque d’appétit des investisseurs institutionnels pour l’investissement à l’étranger. Aux yeux des dirigeants anciens et actuels de la BNS, une telle proposition est une fausse bonne idée dans la mesure où elle ne changerait pas fondamentalement la donne sur le marché des changes. En outre, la BNS place déjà ses réserves de changes dans des obligations et des actions. Mais la proposition en question veut que la BNS prenne davantage de risques en investissant les fruits amers d’une crise de changes dans les actifs privés à l’étranger afin d’affaiblir le franc.D’aucuns lui reprochent de ne pas profiter de cette manne de changes pour reconstituer le stock d’or dont une partie substantielle a été vendue au cours de ces dernières années.

Or, l’institution a besoin de garder ses réserves sous la forme plus ou moins liquide pour pouvoir mener à bien sa politique monétaire. Par ailleurs il n’est un secret pour personne que les caisses de pension et les assurances disposent de sommes colossales qu’elles rechignent à investir dans des actifs étrangers, sans doute en raison d’une légitime aversion pour le risque. Dans ces conditions, il serait absurde de demander à une banque centrale indépendante, mais soucieuse de la défense de l’intérêt général, de corriger une défaillance du marché. Au risque des se faire l’avocat du diable, la BNS tente d’atteindre cet objectif via la politique des taux négatifs au point de susciter l’ire des banques cantonales et d’autres acteurs économiques tels les épargnants ou les horlogers dont les critiques se font récurrentes dans la presse.

L’indépendance sacrée de la BNS

Au-delà du débat technique concernant la politique monétaire à mettre en œuvre pour gérer la relation entre le franc et l’euro, compte tenu de la dépendance structurelle de la Suisse vis-à-vis de la zone euro et du statut de la monnaie helvétique comme valeur refuge en périodes de tensions et d’incertitudes, il est difficile de reporter le débat ad vitam aeternam sur la question de l’indépendance de la BNS, bien que celle-ci soit considérée par beaucoup comme une vache sacrée. Sans doute du fait que la politique monétaire est fortement associée au havre de stabilité et de prospérité que représente la Suisse, et ce tant dans les séries statistiques que dans l’imaginaire des citoyens suisses.

Pourquoi a-t-on besoin d’une banque centrale indépendante? L’idée de base peut être résumée ainsi en paraphrasant Georges Clémenceau: la monnaie est chose trop sérieuse pour être laissée entre les mains des hommes politiques .

Ceux-ci sont souvent préoccupés par le court terme et l’agenda électoral. Dans ces conditions il n’est donc pas certain que l’instrument monétaire soit exclusivement utilisé en faveur du  bien-être des citoyens,tout particulièrement lorsque la banque centrale est sous tutelle. De surcroît la démocratie engendre un biais inflationniste en raison du cycle électoral,et donc de la politique discrétionnaire comme en témoignent les politiques de stop and go pratiquées par les grandes démocraties dans le passé.

 Afin de protéger la société contre la tentation de succomber à  l’inflation via par exemple la monétisation des déficits et des dettes, la politique monétaire devrait être confiée à une banque centrale indépendante du pouvoir politique et de préférence conservatrice. En effet un banquier central conservateur selon certains travaux théoriques par exemple comme ceux développés par Kenneth ROGOFF (1985) devrait avoir une forte aversion pour l’instabilité des prix c’est -à-dire la BC conservatrice devra valoriser la lutte contre l’inflation au détriment de la croissance ou de l’emploi. C’est une solution entre autres pour rompre avec les anticipations inflationnistes dommageables, et, partant espérer instaurer les conditions favorables à la stabilité monétaire et à la croissance. .

Cependant la crainte a été exprimée qu’une banque centrale trop focalisée sur l’objectif de la stabilité des prix risque de ne pas faire jouer sa fonction de stabilisation de manière optimale afin de neutraliser les chocs adverses d’offre et de demande. En conséquence il existe un risque qu’une banque centrale trop conservatrice n’exploite pas l’arbitrage entre la stabilité et la stabilisation conjoncturelle en s’abstenant de réagir à l’information nouvellement acquise sur le système économique. A cet égard il importe de remarquer que le mandat confié à la BNS par le pouvoir politique s’inscrit par bien des côtés dans cette logique de conservatisme en matière de politique monétaire : la Banque nationale a l’obligation de veiller à la qualité de la monnaie émise, mais il est vrai qu’elle dispose de manière implicite d’un pouvoir discrétionnaire pour lutter contre les forces déflationnistes souvent par le truchement du taux de change, comme c’est le cas actuellement.

Bien sûr la BNS a d’autres tâches qui lui sont assignées par la loi telles que la surveillance du système financier en collaboration avec d’autres instances autonomes de régulation. En tout état de cause l’action de l’institut d’émission est évaluée à l’aune de la stabilité du pouvoir d’achat de la monnaie mise en circulation. Il va sans dire que les dirigeants de la BNS ont toujours interprété leur mandat avec pragmatisme et souplesse, ce qui leur confère d’ailleurs une certaine réputation, sachant que ce mécanisme autorise la discrétion en matière de politique monétaire, sans pour autant déclencher une spirale des anticipations inflationnistes incontrôlables. Nonobstant, l’affaire du taux plancher imposée par la crise au sein de la zone euro semblerait avoir affecté négativement la crédibilité de la Banque nationale. C’est pourquoi le retour à un lien fixe entre le franc et l’euro n’est pas réaliste quand bien même une banque centrale ne pourra pas faire faillite comme une banque commerciale, du fait qu’elle dispose d’un pouvoir de création monétaire illimité. Le danger vient principalement de l’explosion du bilan et son corollaire l’exposition à des pertes comptables.

Enfin l’analyse empirique et académique apporte un faisceau d’arguments en faveur de l’indépendance de la banque centrale (BC) : une politique monétaire temporellement cohérente est sous-optimale. En revanche  une politique monétaire temporellement incohérente  est optimale, mais elle n’est pas crédible en l’absence d’une contrainte institutionnelle : par exemple la prescription de l’équilibre budgétaire de l’Etat dans la Constitution, l’adhésion à un système de changes fixes ou bien les gouvernements devraient se lier les mains en transférant la gestion de la monnaie à une instance indépendante, un peu à l’instar d’Ulysse qui s’attache au mât de son bateau pour ne pas succomber au chant des sirènes.

Même si la BNS fait bon usage de son indépendance, elle devrait passer contrat avec le Conseil fédéral.

En tous les cas, la littérature académique a montré que la politique monétaire n’est pas un jeu contre la nature, comme le suggère l a théorie du contrôle optimal, laquelle dicte aux autorités monétaire et budgétaire un comportement de tricherie afin d’engranger des gains macroéconomiques en manipulant les anticipations des acteurs privés. Bref, la politique monétaire est un jeu stratégique entre le gouvernement et le secteur privé capable de se projeter dans l’avenir en tirant les conséquences futures des décisions publiques qu’il observe aujourd’hui. Même s’il est vrai que tous les agents économiques ne sont pas des experts en analyse économique et et qu’ils ne disposent pas de la même information ni d’ailleurs de la même représentation du monde économique (modèle).

Par ailleurs les travaux empiriques montrent une corrélation négative entre le taux d’inflation et le degré d’indépendance des banques centrales: la stabilité des prix prévaut dans les pays où les banquiers centraux sont à l’abri des pressions politiques. Dans cette histoire empirique, la BNS est souvent citée comme la banque archétypale dans la mesure où elle est associée à la prospérité de l’économie helvétique depuis sa création en 1907.

A présent il convient de s’interroger sur le concept d’indépendance de la banque centrale, d’autant plus que s’y ajoute celui de la responsabilité démocratique. En Suisse, la gestion de la politique monétaire est confiée à un directoire compensé de trois personnes choisies par le pouvoir politique selon leurs compétences techniques. Ces techniciens de la monnaie n’ont pas à rendre compte à la société, même s’il est vrai qu’ils doivent expliquer leur politique aux instances politiques, à la presse et au public. Alors qu’ils peuvent prendre des décisions lourdes de conséquences sur le bien-être des citoyens (emplois, revenus, patrimoines).

A la recherche du contrat optimal

La Constituton précise le mandat de la BNS, celle-ci ne doit recevoir aucune instruction des responsables politiques. Pour toutes ces raisons on peut se demander s’il n’est pas opportun de revisiter l’indépendance de la BNS en analysant sa relation dans un cadre de délégation ainsi que le suggère le modèle de principal-agent afin d’introduire une bonne dose de responsabilité démocratique. Car dans la situation actuelle c’est la technocratie qui prime sur la démocratie. Cette situation de fait est tolérée tant que la politique monétaire engendre les résultats escomptés par la société. Mais il est exact que la Suisse n’est pas une exception en la matière, puisqu’il n’existe aucun pays où le gouverneur de la banque centrale est élu au suffrage universel.

En revanche l’approche contractuelle semble être un bon substitut au conservatisme, lequel semble offrir une rente de situation aux banquiers centraux en leur permettant de s’abriter derrière leur mandat : le choix des objectifs et des instruments est en effet du ressort exclusif de la BC. D’autre part l’approche contractuelle telle qu’elle a été développée par l’économiste Carl Walsh (1995) ne néglige pas la question des incitations et des sanctions. Elle limite l’indépendance de la BC à la gestion des instruments et elle implique la responsabilité personnelle des dirigeants de la banque centrale dans la mesure où leur sort est fortement conditionné par les résultats de la politique monétaire. C’est pourquoi l’indépendance de la BC sous la forme contractuelle semblerait être une voie prometteuse à explorer, à tout le moins elle présente la meilleure réponse à la contestation des décisions technocratiques.

En clair le Conseil fédéral devrait trouver le contrat optimal avec la BNS. En effet, pour donner une légitimité démocratique à l’institut d’émission, celui-ci devra rendre des comptes en cas de mauvaises décisions, en particulier quand celles-ci engendrent des difficultés pour un grand nombre de citoyens au point que la contestation de ceux-ci devient audible sur la place publique. Par exemple réviser à la baisse les rémunérations des dirigeants et/ou le budget alloué à la BNS .Du point de vue de la légitimité démocratique, l’approche contractuelle semblerait mieux convenir à une démocratie directe que le conservatisme de la BC, même s’il est incontestable que celui-ci a fait preuve de son efficacité au regard de l’histoire monétaire de la Suisse.

Cependant, il est vrai qu’il est difficile de mettre en œuvre de tels contrats dans le monde réel, du fait des asymétries d’information. Ainsi la relation entre les actions entreprises par le banquier central et les résultats obtenus peut être bruitée  du fait de la survenance des aléas qui ne sont pas observables de manière symétrique par les parties contractantes.

Quoi qu’il en soit, le statut  quo ne semble pas tenable selon certains, compte tenu des risques qui planent sur le bilan de la BNS et des tensions persistantes au sein de la zone euro. C’est pourquoi, on peut se demander si la solution à cette situation inédite de la BNS ne réside pas dans l’adoption d’un schéma contractuel analogue à celui de la banque centrale de la Nouvelle-Zelande : le gouverneur de la BC est responsable des résultats de la politique monétaire. Il jouit d’une indépendance instrumentale entière, en revanche les objectifs de la politique monétaire sont définis en collaboration avec le ministre des finances. En cas de mauvais résultats, le gouvernement qui doit rendre compte au parlement s’arroge le droit de changer temporairement l’orientation de la politique ( procédure d’ override). De même le gouverneur peut voir sa rémunération et/ou le budget de l’institution révisés à la baisse, voire perdre son poste. Ce modèle a au moins le mérite de ne pas conférer un statut des dieux de l’Olympe aux dirigeants de la banque centrale. Ils sont aussi des mortels. Et comme tels ils doivent rendre des comptes à des mortels qui pâtissent de leurs décisions.

Noël Benalou, ancien chargé d’enseignement à l’Université Paris-Dauphine, modélisation mathématique et analyse économique.

Liliane HeldKhawam
Bienvenue sur le blog personnel de Liliane Held-Khawam! Vous trouverez ici plusieurs publications parues dans la presse ou dans des revues spécialisées. Liliane Held-Khawam est née à Héliopolis (Egypte) et a vécu au Liban, en France, Suisse, Etats-Unis.

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