Y a-t-il eu un accord de Shanghaï pour affaiblir le dollar? Avant-propos: Voici une excellente analyse de Bruno Bertez sur le comportement des devises et ses conséquences sur les marchés. On voit bien que dans les moments -clés, le marché s’appelle « accord de Shangaï », « réunion du Plaza », G20, etc. La libre loi du marché n’existe que dans un cadre défini ou rectifié par les uns et les autres. Sans oublier les ententes cartellaires qui jalonnent les faits divers de la finance. Autant dire que le marché totalement libre n’existe pas plus qu’une économie libérale. On laisse aller quand on veut et on intervient quand on veut… Ranger les modèles économiques et observer est la voie de la sagesse du 21ème siècle. Une seule constante accompagne toutes les actions: le court terme. Aucune stratégie sur le long terme n’est lisible. On gagne un maximum à court terme et on fait le service minimum pour que le tout ne collapse pas… en tout cas pas tout de suite. Voilà une preuve de plus pour penser que l’effondrement global n’arrivera que lorsque la nouvelle gouvernance mondiale, avec ses structures organisées en myriades d’entités autonomes, sera fin prête. Liliane Held-Khawam Y A-T-IL EU UN ACCORD DE SHANGHAI? Bruno Bertez, Agefi Suisse MERCREDI, 11.05.
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Avant-propos:
Voici une excellente analyse de Bruno Bertez sur le comportement des devises et ses conséquences sur les marchés.
On voit bien que dans les moments -clés, le marché s’appelle « accord de Shangaï », « réunion du Plaza », G20, etc.
La libre loi du marché n’existe que dans un cadre défini ou rectifié par les uns et les autres. Sans oublier les ententes cartellaires qui jalonnent les faits divers de la finance.
Autant dire que le marché totalement libre n’existe pas plus qu’une économie libérale.
On laisse aller quand on veut et on intervient quand on veut…
Ranger les modèles économiques et observer est la voie de la sagesse du 21ème siècle.
Une seule constante accompagne toutes les actions: le court terme. Aucune stratégie sur le long terme n’est lisible. On gagne un maximum à court terme et on fait le service minimum pour que le tout ne collapse pas… en tout cas pas tout de suite.
Voilà une preuve de plus pour penser que l’effondrement global n’arrivera que lorsque la nouvelle gouvernance mondiale, avec ses structures organisées en myriades d’entités autonomes, sera fin prête.
Liliane Held-Khawam
Y A-T-IL EU UN ACCORD DE SHANGHAI?
Bruno Bertez, Agefi Suisse MERCREDI, 11.05.2016
LA BAISSE DU DOLLAR A ÉTÉ ORCHESTRÉE LORS DU G20 ET ELLE A PERMIS LA FORTE REPRISE DU PÉTROLE DES COMMODITIES ELLE RAPPELLE LA RÉUNION DU PLAZA EN 1985.
La semaine écoulée n’a pas été bonne pour le risk-on. La bonne tenue relative du S&P américain peut faire illusion, mais illusion seulement. Les indices ont bien résisté, mais il y eu des silos de faiblesse significatifs comme les biotechs en chute de 5%. Tous les véhicules de risque ont été étrillés et sévèrement quelque fois: émergents, High Yield, matières premières, et surtout les banques.
Les médias ont considéré cette fuite devant le risque comme une conséquence des indicateurs économiques: en cause, ceux qui confirment la réalité du ralentissement de la croissance mondiale. Nous sommes plus sceptiques, car le ralentissement de la croissance, c’est de l’histoire ancienne et la confirmation par les chiffres de l’emploi américain est arrivée plus tard, bien plus tard. Les dégâts étaient déjà réalisés. Par ailleurs les analyses un peu fines montrent que l’emploi n’a peut-être pas été si «doft» qu’il apparait.
Comme à l’accoutumée, il faut considérer que le retournement est surdéterminé:
l le rally de février s’est épuisé sans relais;
l le report de la hausse des taux de la Fed, c’est de l’histoire ancienne, même si «ils» essaient de nous tenir haleine;
l il y a une fatigue à soutenir un marché à bout de bras et c’est déjà une bonne raison de baisse;
l des grands vrais gourous respectés comme Druckenmiller sont venus nous dire «vendez tout, sortez des marchés», «get out of the stockmarket»et ce sont des gens crédibles, eux, pas des banquiers;
l les marchés sont faits pour baisser et il faut sans cesse dépenser de nouvelles forces, faire de nouveaux discours, de nouvelles promesses pour les empêcher de faire ce qu’ils ont envie spontanément de faire;
l les dopages ne font effet qu’un temps, surtout quand ils sont verbaux.
La baisse, aurions nous tendance à dire, était dans l’ordre des choses et c’est la hausse, le rally qui a démarré en février qui était l’artifice.
Le marché japonais a perdu plus de 3%, l’Europe est de plus en plus baissière avec un déchet de 5%, les émergents sont en recul de 4,7% et tout est l’unisson. La Chine n’a reculé que de 1%, mais le secteur financier à Hong Kong a chuté de 5% soit 8% en deux semaines.
Les nouvelles chinoises ne sont pas bonnes en particulier du côté des défaillances du marché obligataire, il y a déjà eu 22 défauts depuis le début de l’année. Les spécialistes s’inquiètent des «bad loans» dissimulés dans les bilans des banques: selon CLSA Ltd, firme très respectée, les «bad loans» des banques chinoises sont neuf fois plus importants que les chiffres officiels et ils pourraient représenter plus de 9 trillions de yuans!
Le FMI estime que 1,3 trillion de dette corporate est dû par des sociétés qui réalisent moins de chiffres d’affaires qu’elles n’ont de paiement d’intérêt à effectuer. Le refinancement des dettes en cours en Chine va être problématique. Enfin, le marché du financement de gros des banques, le marché des «repos» donne de sinistres indications.
Le balancier risk-on /risk-off a joué, les Treasuries américaines ont été recherchées et les spreads de risque sont dilatés sur tous les segments de marché. Avec une mention particulière pour les périphériques européens, candidats habituels, Portugal, Espagne, Italie.
Les mesures particulières, spécifiques comme le nouveau QE de Draghi ou le coûte que coûte étendu à la Chine, ne semblent pas calmer les appréhensions. Pas plus que la généralisation des taux négatifs qui touchent maintenant 9,9 trillions d’actifs financiers dans le monde. La bulle financière a éclaté et les fuites se manifestent un peu partout, à la marge du système. Les sinistres financiers démarrent toujours sur les franges, jamais au Centre. Cette semaine, c’est l’Afrique du Sud qui a été particulièrement attaquée, mais la Russie, la Corée, la Malaisie et l’Indonésie n’ont pas été épargnés.
Une mention tout à fait spéciale doit être faite pour la Turquie. On en parle beaucoup au plan politique et géopolitique, mais la situation économique et financière est inquiétante: les primes pour assurer la dette Turque s’envolent et les taux d’intérêt à 5 ans se rapprochent de 10%. Les actions ont chuté de 8% en une seule journée, tandis que la monnaie plongeait de 4% contre le dollar! La dette extérieure est très élevée et les banques ont de très lourds engagements de court terme vis à vis de l’étranger. La Turquie est une catastrophe en attente d’arriver.
La vraie nouvelle importante, pour nous, c’est l’arrêt de la baisse du dollar, il a remonté de 0,8% au dollar index à 93,81. Sa baisse depuis le premier janvier reste de près de 5%. On sait que c’est la baisse du dollar qui a permis de désamorcer les dernières crises, celle d’août 2015 et celle de janvier 2016. Donc on ne s’étonnera pas si le regain de fuite devant le risque coïncide, est corrélé à un redressement du dollar.
Le lien n’est pas psychologique, il est organique; un dollar en hausse produit des difficultés pour tous ceux qui se sont endettés en dollars et pour toutes les banques qui dépendent du «dollar funding». En sens inverse un dollar plus abondant et moins cher permet d’alléger les tensions financières globales, de lutter contre ce qu’ils appellent «le resserrement des conditions financières».
En février 2016, le système mondial était à nouveau au bord du collapse. A un point tel que les grands argentiers ont du se concerter téléphoniquement en urgence pour établir une réponse. Celle ci est venue lors de la réunion du G20 à Shanghai. Yellen, Jack Lew, Draghi, Lagarde et autres Chinois et Japonais ont élaboré une réponse concertée. Elle fut efficace comme le prouve le fantastique rally qui a fait regagner trois trillions au marché américain.
On ignore le contenu de ces accords et de ces concertations, simplement, on en a vu le résultat: la baisse du dollar. Elle a été orchestrée, elle a permis la forte reprise du pétrole et des matières premières, par le jeu des corrélations monétaires historiques, et comme le complexe des commodities était leader sur les marchés, il les a entrainé tous.
Certains commentateurs qui connaissent un peu l’histoire ont tracé un parallèle avec ce qui s’est passé en 1985, lors de la fameuse réunion du Plaza. Il avait été décidé de favoriser un décrochage du dollar.
Ce n’est certainement pas un hasard si cette comparaison a été soufflée aux médias, elle facilite la tache des régulateurs. Elle leur donne plus de pouvoirs qu’ils n’en ont réellement. Elle va dans le bon sens puisqu’elle permet de peser sur le prix du dollar et sur celui de son compagnon de peg, le yuan. Elle permet d’affaiblir les deux devises clefs du monde global.
En tant que mesure de court terme, cette hypothèse d’un accord de Shanghai est crédible car elle correspond à un intérêt commun: éviter une révulsion des marchés financiers et des systèmes bancaires. Cependant en tant que mesure de long terme pour restaurer la croissance réelle des économies mondiales, elle est tout à fait inadéquate, elle ne fait que partager et répartir la demande. Elle laisse entier les problèmes du Japon, de l’UE et celui de la transition/ralentissement chinois.
Nous sommes dans un monde de Currency War qui ne veut pas être nommé et tous les accords monétaires ne peuvent être que de pure circonstance, accords de court terme. Les manipulations sur les changes peuvent être acceptées par tous les participants mais à une condition: elles doivent être transitoires, et permettre de gagner du temps.
Gagner du temps avant qu’un nouveau grand plan, non-conventionnel soit mis au point pour sortir de l’impasse dans laquelle les banquiers centraux se sont mis.
Bruno Bertez