« La disparition progressive des temps (subjonctif, passé simple, imparfait, formes composées du futur, participe passé…) donne lieu à une pensée au présent, limitée à l’instant, incapable de projections dans le temps.La généralisation du tutoiement, la disparition des majuscules et de la ponctuation sont autant de coups mortels portés à la subtilité de l’expression.Supprimer le mot ...
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Cyber-naufrage (le djihad du néant). Par Slobodan Despot
Nous raisonnons, nous analysons, nous «cherchons», mais nous ne pensons plus. Une science du contrôle et de la communication a transformé le réel en un ensemble de séquences narratives dont il est défendu de s’écarter. D’où ce sentiment que nous avons parfois d’être embarqués à bord d’un train fou.
«Nous n’avons jamais été aussi peu préparés à une catastrophe évidente comme une montagne; c’est parce que les gens qui sont aux manettes l’ont fait advenir par des actes combinés de malice et de stupidité.»
James Howard Kunstler
Liliane Held-Khawam a récemment eu l’excellente idée de présenter et de republier une réflexion dévastatrice sur la nature de la cybernétique comme science et comme idéologie.
Un essai de Stéphane Zagdanski, paru en novembre 2021, est tiré du Séminaire sur «La Gestion génocidaire du Globe». «La Cybernétique à l’assaut de l’Homme» est une mise en garde d’une extrême violence contre une religion scientifique qui rêve de se substituer à Dieu et qui manifeste une haine absolue de tout ce qui est vivant, «animal», inquantifiable. Zagdanski souligne — comme nous le faisions en 2020 -que «la crise pandémique contemporaine et sa réaction idéologique qu’est le sanitarisme même sont impensables sans la Cybernétique».
Comme les autres phénomènes de la société industrielle avancée:
«Définie par son fondateur Norbert Wiener en 1948, dans son essai éponyme, comme: “Contrôle et communication dans l’animal et la machine”, la Cybernétique s’est déployée de manière si hégémonique qu’il n’est plus aujourd’hui un domaine intellectuel, social,politique, économique, scientifique, technologique ou idéologique qui n’y soit asservi.»
Stéphane Zagdanski
HAINE DU VIVANT
Je ne vais pas reproduire ici le texte de Zagdanski in extenso, mais il faut le lire. Il n’est pas une phrase, dans cette description d’un «assaut» concerté contre l’être humain, qui ne perturbe les idées reçues et qui ne provoque la réflexion.
«Le mot “cybernétique” est de la même étymologie grecque que “gouvernail“ et “gouverner“ : kubernetikè. La Domination planétaire tire ainsi le plus imparable parti de la Cybernétique, qui n’est pas tant la science des ordinateurs que la modalité moderne, mathématiquement assistée, de ce que Heidegger nomme la Führung, c’est-à-dire la direction impulsée par les «chefs» (les Führers), et de sa doublure d’animosité et d’annihilation à l’encontre de l’animal.»
Stéphane Zagdanski
Pourquoi ce désir d’annihilation?
À cause de la supériorité physique de l’animal sur l’homme, témoignant d’une perfection échappant à tout contrôle et à tout simulacre. Par extension, la part naturelle (ou divine) de l’homme doit elle aussi être annihilée.
«L’irrégulier, l’incertain, le miracle et l’imprévisible sont ses pires ennemis. Et ce que cette science qui se veut exacte vise à son insu, c’est d’emblée ni plus ni moins ce qu’il y a de plus imprévisible au monde: l’inspiration, soit la vraie pensée créatrice qui n’a rien à voir avec l’intelligence, artificielle ou pas.»
Stéphane Zagdanski
(…)
Nous retombons sur le diagnostic à l’emporte-pièce du Dr Peterson: nous sommes dérangés et (littéralement) dégénérés.
Mis en demeure de réfléchir pour de bon, l’homme cybernétique produit des raisonnements d’un simplisme infantile, s’immerge dans la dérive émotionnelle et bafoue les lois élémentaires de la logique et de l’argumentation. Il n’est pas programmé pour ça. Sa pensée vivante a été laissée en jachère. Et l’ironie suprême, c’est que les plus estropiés, souvent, sont justement les mieux «instruits», comme le relève Zagdanski:
«Le point aveugle de ces maniaques, c’est leur concept de base, ce qu’ils appellent “l’intelligence”. Car leur conception de l’“intelligence” n’est jamais remise en question par les promoteurs de l’IA, qui proviennent tous toujours du même sérail mathématico-scientifique (le MIT principalement), capable de bien des choses (ils envoient des hommes sur lalune et des drones sur Mars), mais de penser créativement, jamais. (…) C’est de la caboche de ces centainesd’intelligents utiles du MIT qu’est issue l’immonde figure du monde dans lequel nous sommes engeôlés aujourd’hui.»
Stéphane Zagdanski
A BROUTER DU FOIN
Il y a quelques années encore, ou même en 2020 lorsque nous essayions de comprendre l’avalanche de bêtise engendrée par le Covid à la lumière de la révolution technologique, ce texte eût semblé partial et excessif. Mais aujourd’hui, l’«immonde figure du monde» où nous sommes «engeôlés» nous impose sa grimace de quelque côté que nous tournions le regard — et si nous ne la voyons pas à l’heure qu’il est, c’est que nous ne sommes déjà plus du côté des spectateurs, mais du spectacle. Les illustrations abondent ces derniers temps, notamment dans les propositions d’économie d’énergie pour «faire la nique à Poutine» (comme celle consistant à favoriser la transition vers l’automobile électrique par la taxe carbone sans se demander d’où vient le courant!). Mais nous nous contenterons de deux cas exemplaires
de cette semaine.
Le ministre allemand de la Santé, Karl Lauterbach (celui qui ressemble à une autruche hystérique ayant avalé une seringue de travers), déclare en substance que la vaccination protègedu Covid d’autant mieux qu’elle ne marche pas! L’argument est que les personnes piquées développent rapidement des symptômes et restent à la maison, tandis que les personnes non piquées développent des symptômes
plus lentement — bref, elles sont plus résistantes.
Ensuite, la perle de la semaine, du mois et peut-être du siècle. La désormais légendaire Liz Truss, favorite à la succession de Boris Johnson, était interrogée par un journaliste:
Le journaliste, un peu choqué, insistant pour avoir son sentiment, elle répète, mécaniquement: «Je suis prête.» Dans la vidéo de l’entretien, on entend l’audience applaudir… Qu’y a-t-il de commun entre ces deux déclarations, outre leur tonitruante bêtise et leur sidéral déni de réalité?
L’insensibilité à la situation concrète en premier lieu. La conclusion logique au sujet des vaccins, qui sauterait aux yeux de n’importe quelle personne dotée de bon sens, est écartée a priori par le «compétent» Lauterbach.
Des esprits suspicieux vous diront que tout cela n’est que comédie, que ces gens savent très bien ce qu’ils font et qu’ils vous prennent pour des bourriques, que de toute façon ils ne sont que des acteurs sans aucun pouvoir chargés d’amuser la galerie. Je ne le pense pas, à l’exception éventuelle de ce dernier point. En effet, ces maniaques du contrôle ne contrôlent rien à l’échelon stratégique qui est le leur, d’où leur obsession, calamiteuse, du micromanagement jusqu’à l’absurde. Pour le reste, hélas, je crains qu’ils ne croient vraiment à leurs calembredaines. Ces gens sont souvent bardés de diplômes presti gieux, ont passé la moitié de leur vie à «étudier», ou plutôt à prouver leur conformité aux canons idéologiques en place, mais ils sont irrémédiablement stupides. Stupides «à brouter du oin», comme l’on dit chez les paysans du Valais.
• Notule. Ayant travaillé dans une période de ma vie dans le milieu politique, j’ai pu m’en assurer de première main. J’y ai croisé des armées d’apparatchiks rusés, habiles, éloquents, capables de machinations balzaciennes, mais des esprits qui pensent, très rarement. Leur trajectoire en politique est généralement météorique et conflictuelle, car elle perturbe gravement le système. De manière générale, il me semble que les derniers politiques capables de penser par leur propre tête ont quitté la scène au tournant des années 2000. Ils avaient reçu une éducation humaniste dans une civilisation précybernétique.
Ceci nous amène au second exemple, le cas Liz Truss. Je suis convaincu que si l’on avait posé la
même question à une serveuse de restaurant ou à un mécanicien automobile, ces personnes auraient refusé de répondre ou au moins exigé des précisions: «dans quelle situation?»
De fait, l’usage de l’arme nucléaire est extrêmement codifié et la réponse à la question du journaliste ne peut se résumer à oui-non. Un État doté d’une force de dissuasion doit faire savoir qu’il ripostera immanquablement, si, et seulement si, il fait face à une menace existentielle. Envisager d’agir en «première frappe», en revanche, est un jeu dangereux qui peut très mal se terminer. C’est pourquoi le contexte est essentiel. Il y a quelques mois, les Britanniques avaient été pris d’hystérie lorsqu’une télévision russe a montré l’effet d’un missile «Sarmat» (hypersonique et inarrêtable) sur leur île: en quelques minutes, elle disparaîtrait de la surface de la Terre. Au lieude les faire réfléchir, de telles mises en garde n’ont conduit qu’à… Liz Truss!
Avec sa déclaration, elle a fait savoir au monde que le Royaume-Uni allait probablement être gouverné par une idiote irresponsable. Et le plus préoccupant, avec ce dérapage, est qu’il a été applaudi par l’assemblée!
COMME SUR DES RAILS
Ces bouffons à grelots ne sont pas des cas marginaux, ce sont des ministres et des représentants typiques de l’élite dirigeante — et nous n’irons pas égrener le bestiaire étasunien, ce serait une encyclopédie. Que leur pouvoir soit réel ou non, ils occupent le haut du panier, avec voitures et avions de fonction, présence médiatique continue, secrétariats pléthoriques, honneurs et prébendes. Pourtant, leur dogmatisme répétitif et buté fait penser à l’obstination d’une tondeuse robotique confrontée à un obstacle imprévu (encore que certaines tondeuses «savent» le contourner). Par mimétisme social, toute la pyramide descendante règle son comportement sur eux, même si elle n’en pense pas moins: quand le pacha zézaye, le sous-fifre s’invente un défaut de prononciation, on le sait depuis Molière et Gogol. Ces cas spectaculaires ne sont que les symptômes irréfutables d’une société devenant incommensurablement stupide, travaillant contre la raison, contre l’humain et contre elle-même. En l’occurrence, il s’agit d’une stupidité non pas spontanée, mais apprise, donc enseignée. La lecture des maniaques cybernéticiens, ou celle des observateurs aigus comme Roszak ou Zinoviev, nous permet de pointer, parmi bien d’autres facteurs, une colossale erreur système, inscrite dans la «science» même qui organise la société de l’information.
Lorsque Lauterbach invente son justificatif ubuesque pour les vaccins, lorsque Truss balance son «je suis prête!» sans avoir vraiment entendu la question, ces gens réagissent en réalité comme des machines cybernétiques: contrôle et communication! Chacun s’aligne sur un «narratif», autrement dit un scénario mécanique inspiré par le consensus général et mis au point par des équipes de communicants. Ici, le salut sans alternative par les vaccins, là, le scénario imposé par Boris Johnson et ses maîtres néoconservateurs d’une guerre à outrance et sans alternative contre la Russie.
A l’intérieur de ce canevas, des adaptations tactiques sont possibles, mais la ligne générale est immuable, quoi qu’il arrive. Ce ne sont plus des êtres pensants, ce sont des bolides lancés sur des rails, sans frein, sans voie de dégagement et sans marche arrière. Là où règne la communication, là où le message crée la réalité, là où les spin doctors sont les ventriloques des élus, la raison n’est plus aux commandes. Elle cède le pas au volontarisme inflexible et aveugle de la cybernétique.
Slobodan Despot, Antipresse