Voici ce qu’affirmait le 15 mai dernier l’ex-économiste en chef de la BCE Jürgen Stark au discret mensuel allemand Tichys Einblick, édité à Munich : « L’Allemagne a perdu le contrôle de sa politique budgétaire. » « Je ne peux plus exclure un krach ». « Nous sommes en plein milieu d’un changement de système. » Des déclarations d’autant plus spectaculaires ...
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Voici ce qu’affirmait le 15 mai dernier l’ex-économiste en chef de la BCE Jürgen Stark au discret mensuel allemand Tichys Einblick, édité à Munich :
« L’Allemagne a perdu le contrôle de sa politique budgétaire. » « Je ne peux plus exclure un krach ». « Nous sommes en plein milieu d’un changement de système. »
Des déclarations d’autant plus spectaculaires qu’elles ne semblent avoir trouvé aucun écho dans les grands médias outre-Rhin. Pourtant, ces déclarations fracassantes proviennent bel et bien d’un haut fonctionnaire allemand qui avait à l’époque contribué « de façon déterminante » à l’introduction de l’euro… et qui a siégé au directoire de la BCE jusqu’en septembre 2011 !
L’évocation par le Dr. Stark d’un « krach » financier majeur n’est donc pas anodine, surtout à l’heure où l’on commence à prendre conscience de la fragilité du gigantesque marché REPO, dont les banques centrales sont justement des acteurs-clés. Par ailleurs, la référence du Dr. Stark à un « changement de système » évoque immanquablement cet appel de l’actuel ministre des Finances français à « réinventer l’ordre monétaire international » :
« L’ordre [monétaire international] de Bretton Woods tel que nous le connaissons a atteint ses limites, a affirmé le ministre des Finances français Bruno Le Maire […] D’après [lui], tout comme Bretton Woods a défini l’ordre économique international de la seconde moitié du 20ème siècle, la première partie de ce siècle pourrait bien être définie par le projet de nouvelles Routes de la soie de la Chine. » (Reuters, juillet 2019)
Et M. Le Maire de surenchérir :
« L’euro est menacé. Il n’a jamais été aussi menacé »
Ainsi, cette sortie fracassante du Dr. Stark est aussi pour nous l’occasion d’esquisser le scénario de la scission de l’euro, que nos grands médias évoquent de temps à autres. Sans que cette hypothèse pourtant connue ne prenne véritablement pied dans le débat politique.
Voici donc un extrait de notre dernier ouvrage, où cette option politique est abordée de façon plus directe que ce n’est généralement le cas dans les grands médias.
Le destin trouble de la zone euro (extrait d’Asservissement, janvier 2021)
« Avec l’euro, il y a quelques gagnants, mais beaucoup de perdants » (Antonio Costa, premier ministre portugais, mars 2015)
« Il est vrai que [le] pouvoir politique [allemand] aura, au fil des années, donné tous les gages d’un jusqu’au-boutisme farouche en faveur de l’euro. De fait, un effondrement de la zone euro ne manquerait pas de produire de fâcheux effets pour les retraités allemands, dont le poids électoral est notoirement considérable… Et qui se retrouvent aujourd’hui exposés – à leur insu et dans des proportions phénoménales – aux risques explosifs de la dette des pays du Sud.[1] Ce d’autant plus qu’avec leurs fameux « mini-BOTS » (approuvés à l’unanimité par les parlementaires de tous bords !), les dirigeants italiens se sont d’ores et déjà assurés de la possibilité, le cas échéant, de rembourser leurs dettes vis-à-vis de l’Eurosystème (et donc de l’Allemagne)… en monnaie de singe. On comprend dès lors que les dirigeants allemands tiennent tant à faire la preuve de leur engagement sans faille en faveur de la monnaie unique !
Pourtant, quelques talentueux économistes ne nous ont-ils pas expliqué par le menu que l’eurozone est, par construction, un ensemble sécable ? Et que la Bundesbank elle-même cherche, depuis bien des années déjà, à se ménager des portes de sortie, en développant des mécanismes permettant d’exclure de la zone euro les pays trop indisciplinés… ?[2] Or, voilà que la Cour de Karlsruhe nous signifi[ait] subitement [en mai 2020] que ce scénario d’un fractionnement de la zone euro pourrait se concrétiser à tout instant !
On comprend dès lors mieux pourquoi « la décision de Karlsruhe » a pu être interprétée comme l’arrêt de mort de la zone euro telle que nous la connaissons. Et relancé les spéculations quant à l’éventualité d’une future scission de la zone euro…
« Il s’agit à présent d’agir de manière responsable et avec sagesse pour que l’euro puisse continuer d’exister… LA COUR CONSTITUTIONNELLE A DÉPOSÉ UNE CHARGE EXPLOSIVE SOUS L’EURO ET SOUS L’UNION EUROPÉENNE » (Angela Merkel à l’agence Reuters, mai 2020. Les majuscules sont de Reuters.)
De fait, les pays du Sud, déjà largement désindustrialisés, auraient aujourd’hui un intérêt évident à procéder à une forte dévaluation monétaire en vue de regagner de la compétitivité commerciale. Une question d’autant plus pressante que leur gestion souvent calamiteuse de la « crise sanitaire » covidienne les a passablement lessivés sur le plan économique…
« Nous ne sommes pas ici pour fermer les écarts [entre le coût des dettes italienne et allemande] » (Christine Lagarde, présidente de la BCE, en mars 2020)
La réémergence inéluctable de la crise de l’euro pourrait ainsi aboutir à une scission plus ou moins ordonnée de l’espace monétaire européen. Avec au Nord, une eurozone rétrécie menée par l’Allemagne, face à laquelle pourrait se former un bloc « euro-Sud », sans doute mené par la France. Cette nouvelle « Union latine » pouvant dès lors être amenée à mettre en place – tout au moins temporairement, des politiques de contrôle des changes en vue de garantir la stabilité monétaire face à des risques accrus de fuite des capitaux ou d’attaques spéculatives…
Par ailleurs, les pays « méditerranéens » de l’UE pourraient également trouver un intérêt majeur dans le fait de valoriser des réserves d’or parfois très importantes (Italie, France) ou significatives par rapport à la taille de leurs économies (Portugal, Grèce). Ceci afin de se donner un peu d’oxygène financier à un moment où ils en auront sans doute le plus grand besoin. De telle sorte que bien des candidats à la sortie de l’euro pourraient être tentés de s’associer rapidement (individuellement ou ensemble) au projet de nouveau système monétaire international basé sur « un étalon-or modernisé » que proposent, en particulier, la Chine et la Russie… »
Par Vincent Held, auteur des ouvrages Le crépuscule de la Banque nationale suisse (2017), Après la crise (2018), Une civilisation en crise (2020) et Asservissement (2021).
Notes
[1] Et ce en particulier via les gigantesques « soldes Target » de la banque centrale allemande. On rappellera que les « soldes Target » expriment le montant des capitaux transférés par les banques centrales européennes à l’étranger (à l’intérieur de l’Eurosystème ou au-dehors). Fin 2020, le solde Target (positif) de l’Allemagne se montait à quelque 1’136 milliards (!) d’euros, alors que l’Italie et l’Espagne présentaient, à elles deux, un « découvert » de quelque 1’000 milliards d’euros environ.
[2] cf. les passionnantes explications du regretté Vincent Brousseau sur le scénario d’une « sortie furtive de l’euro » (son article éponyme publié sur le site de l’UPR contient de précieuses références pour prendre la mesure des préparatifs allemands).
[3] Et ce en particulier via les gigantesques « soldes Target » de la banque centrale allemande. On rappellera que les « soldes Target » expriment le montant des capitaux transférés par les banques centrales européennes à l’étranger (à l’intérieur de l’Eurosystème ou au-dehors). Fin 2020, le solde Target (positif) de l’Allemagne se montait à quelque 1’136 milliards (!) d’euros, alors que l’Italie et l’Espagne présentaient, à elles deux, un « découvert » de quelque 1’000 milliards d’euros environ.
[4] cf. les passionnantes explications du regretté Vincent Brousseau sur le scénario d’une « sortie furtive de l’euro » (son article éponyme publié sur le site de l’UPR contient de précieuses références pour prendre la mesure des préparatifs allemands.