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La quête d’immortalité, une destruction de notre humanité.

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[embedded content] Peut-on (vraiment) vouloir être immortel? Sophie Swaton 17 mai 2020 Après des semaines passées à côtoyer jour après jour les chiffres froids du décompte des victimes de la tragédie sanitaire, et la courbe morbide des pics de la pandémie par pays, c’est un peu comme si la mort s’était invitée dans notre quotidien. Parallèlement, anxiété, déprime, maladies psychosomatiques post enfermement (dont crainte de l’autre et phobies sociales), ont vu leur taux grimper toute classe sociale confondue, bien que les plus précaires soient encore injustement davantage touchés.Avec le Covid 19, le mot « santé » que l’on se souhaite au nouvel an reprend tout son sens. Tout comme celui de « liberté », associée aux débats sur le traçage numérique des malades, et la crainte

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Peut-on (vraiment) vouloir être immortel? Sophie Swaton

Après des semaines passées à côtoyer jour après jour les chiffres froids du décompte des victimes de la tragédie sanitaire, et la courbe morbide des pics de la pandémie par pays, c’est un peu comme si la mort s’était invitée dans notre quotidien. Parallèlement, anxiété, déprime, maladies psychosomatiques post enfermement (dont crainte de l’autre et phobies sociales), ont vu leur taux grimper toute classe sociale confondue, bien que les plus précaires soient encore injustement davantage touchés.
Avec le Covid 19, le mot « santé » que l’on se souhaite au nouvel an reprend tout son sens. Tout comme celui de « liberté », associée aux débats sur le traçage numérique des malades, et la crainte latente de nous retrouver contrôlé.e.s et analysé.e.s dans nos moindres faits et gestes. Si les Européens se méfient (en général) de l’introduction de technologies à tout prix, en Asie, particulièrement en Chine, les gens sont plus enclins (de fait) à associer santé et contrôle étatique, via des technologies dans lesquelles ils excellent désormais.


Dans un autre registre, doit-on s’attendre à ce que cette crise sanitaire réveille les débats passionnés sur le transhumanisme ? Pour échapper à une mort certaine, peut-on vouloir dépasser notre mortelle condition humaine, rappelée effrontément par un petit virus ? Voudrions-nous vraiment être immortels ?

L’immortalité, un mythe ancien


Dans les monde des esprits qui peuplent les pratiques chamaniques depuis la naissance de nos civilisations, en Egypte ancienne, dans toute la mythologie grecque puis romaine, l’immortalité apparaît comme le privilège absolu des dieux. Par leur existence permanente, à la fois dans et en dehors de notre monde, les dieux se démarquent de notre condition humaine de simple mortels. Les religions monothéiste n’échappent pas à ce mythe de l’immortalité, que ce soit à travers celle d’un Dieu unique ou celle de nos âmes qui, selon le Dieu de leur religion, se seront suffisamment efforcées de gagner le Paradis loin de l’Enfer.
De fait, si l’on n’est pas certain de se trouver du bon côté une fois dans l’au-delà, il devient plus que légitime de vouloir être immortel. Honnêtement, dans les conceptions médiévales de l’Enfer nous menaçant de brûler dans un feu éternel sous les tortures de démons, qui aurait envie de se réjouir de la mort ?
Paradoxalement, le déclin relatif des religions dans nos sociétés hyperconsuméristes (relatif car 60% des personnes dans le monde pratiquent une religion selon une étude citée dans Le Monde en 2015) n’a pas pour autant effacé ce mythe.


En fait, la quête à l’immortalité par la grâce des dieux ou d’un Dieu unique, s’est simplement déplacée sur la quête de la technologie à la rescousse de la jeunesse éternelle. Jeune et beau de préférence, Kairos kai Logos disaient les Grecs.


Toutefois, si les Anciens étaient vénérés (je laisse au masculin, Aristote à l’époque estimant que les femmes n’avaient pas d’âme), du moins respectés pour leur sagesse, aujourd’hui les plus anciens, riches ou pauvres, ne peuvent plus vivre avec nous dans des appartements peu adaptés, mal équipés, peu médicalisés. Vieillir est perçu comme un symbole de décrépitude, de mort proche.
Aux Etats-Unis, le mythe du corps parfait est toujours bien présent. Et c’est dans ce pays (dont dans la Sillicon valley) que le transhumanisme connaît sans doute le plus de supporters : pour échapper à une perception de la mort comme fin ultime, doit-on passer par un matérialisme suprême ? Echapper à la finitude de notre matière par une recherche sur la matière ?

L’homme robot : avancée technologique ou post-humanisme ?


Après la conquête du feu, puis celle de l’Ouest, se joue la conquête de la machine sur l’être humain. Si l’on part du principe que l’Homme est une espèce limitée à cause des ses faiblesses matérielles, dont principalement sa condition mortelle, (accélérée par les maladies ou les pathologies en puissance), et que l’on pense que ces faiblesses sont technologiquement surmontables, alors il est tout à fait opportun de vouloir repousser les limites de cette mortalité. Mais de là à en faire un idéal et la priorité des politiques publiques, cela ne paraît pas sérieux. Et pourtant cette quête a bien un nom : c’est le volet politique du transhumanisme.
En augmentant l’être humain diminué par la modification de sa constitution biologique, ou en l’amalgamant avec des matériaux pour en faire une sorte de RoboCop, on est dans l’idéal transhumaniste (volet intellectuel). Une étape donc en soi avant la fin de l’humanité, espèce dépassée, au non d’un idéal individualiste et progressiste toujours plus fort comme l’explique le chercheur Olivier Rey auteur du livre intitulé Leurre et malheur du transhumanisme, publié en 2018 chez Desclée de Brouwer.
Grâce aux technologies, à la connaissance scientifique, aux vaccins, nous avons pu sauver des millions de personnes et accru notre espérance de vie, dont celle des femmes en couche et des jeunes enfants.

Devenir des hommes ou des femmes physiquement standardisé.e.s, au sang alimenté de cellules souches et à l’intelligence enrichie dans la sélection de nos gènes et de nos enfants fera-t-il de nous des êtres plus près des ou du Dieu ?


C’est ce que prétendent les transhumanistes, dont certains préfèrent le terme « amortalité » à celui d’immortalité : la mort devient ainsi un choix, l’idéal étant de vouloir vivre le plus longtemps possible, et sans doute à terme, éternellement.


Mais en voulant à tout prix devenir physiquement immortels, ne sacrifions-nous pas notre propre humanité ? Une humanité dont justement la vulnérabilité en fait la spécificité.

La condition humaine dans la finitude et non dans la solitude !


C’est bien de notre mort dont il est question dès notre naissance, et c’est la manière dont nous l’appréhendons qui fera la qualité et le sens de notre vie. Philosopher disait Socrate, c’est apprendre à mourir. Alors que signifie vivre en se sachant des personnes mortelles ? On peut se demander ce que serait une vie d’homme ou de femme robot dont l’enveloppe corporelle serait transmutable à souhait, transposable même d’un corps à un autre avec un système d’âme téléchargeable sur une clé type USB à l’instar de la série fantastique « Altered Carbon ».


Pour les transhumanistes, je cite un passage du site de l’association française de transhumanisme, cela permettrait aux femmes de ne plus enfanter et de revoir même le modèle de couple grâce à un détachement des « soins » et de « l’appel de l’enfant » : « Lorsque le corps s’affranchit de l’instinct et du joug hormonal, le calcul rationnel et la raison, prennent le relais ». Ainsi, « pourrions-nous voir se développer des modèles alternatifs de soins délivrés aux enfants en bas-âge et de nouveaux champs de services à la personne s’ouvrir à l’heure du tout automatisé, ou même les robots commencent à jouer les auxiliaires de vie ».


Personnellement, je doute que le soin apporté par un robot à un enfant et à un proche soit aussi apprécié que celui d’un être humain, proche ou soignant.e. Il y a de la joie à donner et à recevoir des soins, c’est ce que l’on nomme le care, et l’éthique du care. On reçoit beaucoup de bonheur en négociant et en parvenant à s’organiser dans un couple pour partager les tâches en sachant que nous aurons été utiles à d’autres (adolescents ingrats compris comme proches malades reconnaissants). Quelle joie de ressentir l’affection et l’amour de et pour nos proches dont nous avons été privés !
Sans une quête de sens, une philosophie de vie, tout simplement la volonté de vivre en osant rêver de petits bonheurs simples et partagés, le dépassement de la matière par et pour plus de matière n’a guère de sens. Manger des fraises toute l’année ne vaut pas le plaisir de goûter à celles de saison, juteuses et excellentes ! Que vaut un jour sans fin sans la coupure de la nuit ? Comment reconnaître une bonne ou une mauvaise action sans le curseur des autres et de son instinct en soi, son intuition qui vaut autant que la raison et mieux que le simple « calcul froid et rationnel » ? En femme robot pourrais-je encore aimer ? Saurais-je que ce qui me rend triste aujourd’hui s’effacera pour une joie demain ? Dépasser les dualismes raison/émotion trouver son propre chemin de vie, tel est bien ce que nous pourrions nommer aujourd’hui notre « spiritualité » qui fait cruellement défaut au volet seulement intellectuel ou politique du transhumanisme.
Etre humain ce n’est donc pas simplement compter le nombre d’années que nous avons à vivre, c’est faire en sorte que les années que nous vivrons seront harmonieuses, heureuses, remplies de nos imperfections, de nos erreurs, de nos succès et surtout de nos choix, libres, d’être humains limités, mais pas tout seuls. Nous avons besoin de trouver l’Autre que soi en Soi, par-delà la matière, mais pas sans elle non plus. En une formule ramassée : immanence et transcendance à taille humaine.

Le cycle de la vie en quête du bonheur : mortel non ?


Pour lutter contre le Covid 19, en l’absence de vaccins et de connaissances claires établies, nous avons eu recours au confinement, archaïque certes, dans un isolement subi, mais en l’absence de tests de dépistage et de traitements, il semblait difficile de faire autrement. Au fil des jours, nous avons éprouvé les joies et les limites de la technologie, des connections ratées ou partagées.
Pour autant, nous avons aussi pris conscience durant cette crise que nous étions vulnérables certes, mais aussi interdépendants. La solidarité nous a rendu plus fort. Moins seule.s, soudé.es et solidaires, jusque dans ces files pour déposer des paquets pour d’autres familles, dans le besoin, surprises par la crise économique, et devant se rendre dans des banques alimentaires pour juste se nourrir ou nourrir leurs enfants.
L’innovation technologique n’est pas tout : n’oublions pas qu’elle n’a de sens qu’au service des humain.e.s. Rendre la vie des personnes en souffrance plus agréable, éviter le maximum de douleurs, de maladies, telle peut bien se comprendre et s’apprécier la visée idéale de la technologie ; mais aucune de nos pathologies matérielles ne peut justifier de faire de nous des sous ou des post-humains. Jamais aucune technologie ne nous donnera la clé du bonheur, de l’amour et de la paix intérieure. Car c’est en descendant au plus profond de nous, par la transition et l’équilibre intérieurs que nous pourrons trouver la paix, et accepter l’idée que les meilleures choses ont une fin.
La vie est un cycle duquel nous ne pouvons nous soustraire. L’été succède au printemps qui arrive après l’hiver. A chaque âge ses plaisirs, son évolution, ses transformations et sa fin. Dans Tous les hommes sont mortels, Simone de Beauvoir montre subtilement comment vivre éternellement représente une damnation.
Bien sur que la mort angoisse, et c’est bien pour cela que les philosophies et certaines sagesses invitent à méditer pour apprendre à lâcher prise ; les pulsions de mort sont inhérentes à celles de vie dans la théorie freudienne. Des travaux d’accompagnement dans la mort sont effectués par des psychologues spécialisés dans le deuil.
Un deuil qui a touché les gens de près avec le Covid 19 ; et un deuil également évoqué avec le réchauffement climatique et la destruction de nos écosystèmes, faisant planer encore cette menace d’une mort certaine. A l’immense différence près qu’il ne s’agit pas simplement cette fois-ci de la nôtre, mais de celle de notre espèce, et des autres, par notre seule action. De quoi donner du grain à moudre à notre psychè, devant gérer des émotions de tristesse, de colère mais aussi de déni ou de culpabilité.

A mon humble avis de terrienne, ce qui fera notre humanité dans ce siècle-ci ne résidera pas dans notre capacité à nous métamorphoser en robot (prêt à décoller dans l’espace à la recherche d’une nouvelle planète à piller), mais dans la reconnaissance de la vulnérabilité. La nôtre, mais surtout celle de la terre : une vulnérabilité que nous avons bien ressentie dans notre chair non synthétique ces deux derniers mois, et que nous pourrions intelligemment et émotionnellement mettre à profit pour nous poser les bonnes questions.


Dans quel conditionnement avons-nous grandi ? Pourquoi ne faisons-nous pas ce que nous souhaitons dans nos vies quand nous avons pourtant le choix ? Marc-Aurèle, roi et philosophe stoïcien, disait qu’il se levait tous les jours et embrassait ses enfants en appréhendant sa journée comme si elle était la dernière. Ses mots ne me sont jamais parus tant à propos qu’en cette période. Les freins et les leviers de notre psychologie profonde sont bien plus infinis que l’enveloppe matérielle supposée immortelle du plus puissant des hommes robots.


Et si le progrès au 21ème siècle consistait à miser sur l’ensemble des deux parties de notre cerveau, pas simplement celui rationnel mais sur la partie intuitive et créative qui nourrit notre être à soi, aux autres, au Monde ?Peut-être alors apprendrions-nous à maîtriser nos émotions, à se respecter soi, en tant qu’être humain angoissé et perfectible, impulsif et sage, simple mortel et divinement spirituel. Peut-être alors, en conséquence, apprendrions-nous à mieux partager les ressources pour bien vivre, pour vivre heureux tout simplement dans cette quête dite humaine aussi et que l’on nomme le bonheur.

Sophie Swaton

Philosophe et économiste, Sophie Swaton est enseignante-chercheure à l’Institut de géographie et durabilité de l’Université de Lausanne où elle coordonne le master en fondements et pratiques de la durabilité. Elle préside également la fondation d’utilité publique ZOEIN, signifiant vivre en grec, qu’elle a créée en 2017 pour promouvoir en Suisse et à l’étranger des initiatives solidaires de transition écologique et solidaire (https://www.zoein.org). Sophie Swaton co-dirige également la collection « Nouvelles Terres » aux Presses Universitaires Françaises, partenaire éditorial avec la Revue de la pensée écologique de la fondation Zoein.

Liliane HeldKhawam
Bienvenue sur le blog personnel de Liliane Held-Khawam! Vous trouverez ici plusieurs publications parues dans la presse ou dans des revues spécialisées. Liliane Held-Khawam est née à Héliopolis (Egypte) et a vécu au Liban, en France, Suisse, Etats-Unis.

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