La Fondation Gates s’intéresse de près à la production de diverses ressources à partir des excréments humains – dans le domaine alimentaire, notamment. Siège de la Toilet Board Coalition, la Suisse semble être particulièrement impliquée dans le projet peu ragoûtant de la « toilet economy »… Il y a un peu plus de deux ans de cela, l’ONG Foodwatch défrayait la chronique en révélant quelques uns des « ingrédients cachés » de la nourriture industrielle française. Et la presse de pointer la présence de résidus et autres sécrétions d’insectes dans les bonbons, les glaces, les sodas… et ce, notamment dans certains produits commercialisés par Danone et Nestlé. De fait, il semblerait bien qu’aujourd’hui, l’emploi d’insectes ait vocation à se généraliser dans nos productions
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La Fondation Gates s’intéresse de près à la production de diverses ressources à partir des excréments humains – dans le domaine alimentaire, notamment. Siège de la Toilet Board Coalition, la Suisse semble être particulièrement impliquée dans le projet peu ragoûtant de la « toilet economy »…
Il y a un peu plus de deux ans de cela, l’ONG Foodwatch défrayait la chronique en révélant quelques uns des « ingrédients cachés » de la nourriture industrielle française. Et la presse de pointer la présence de résidus et autres sécrétions d’insectes dans les bonbons, les glaces, les sodas… et ce, notamment dans certains produits commercialisés par Danone et Nestlé.
De fait, il semblerait bien qu’aujourd’hui, l’emploi d’insectes ait vocation à se généraliser dans nos productions agroalimentaires. C’est ce que la prestigieuse École polytechnique de Zurich (EPFZ) appelle, dans un jargon d’affaires un peu comique, les « insect value chains ».
Au cœur de cette « révolution alimentaire », un certain Alexander Mathys, ancien chargé de projets chez Nestlé et aujourd’hui professeur assistant à l’EPFZ, dont il dirige une unité consacrée à « l’agroalimentaire durable ».
Le Prof. Mathys a ainsi été récompensé cette année par la société d’agroalimentaire Kellogg pour ses travaux sur « l’utilisation efficiente de larves dans la production d’aliments pour animaux sûrs et plus durables. » Une offre destinée à l’élevage de poules, par exemple…
Le site de l’EPFZ précisant que les chenilles en question (larves de mouches soldats noires) peuvent en réalité aussi bien être utilisées comme nourriture pour animaux (feed) que pour servir de base à l’alimentation humaine (food).
Une idée qui ne date pas d’hier ! Car en 2013 déjà, une mini-opération marketing avait été lancée en Autriche pour vanter la comestibilité de ces insectes à haute teneur protéinique.
Or, voilà que, de façon inattendue, l’égérie de cette campagne publicitaire reconnaissait elle-même que le goût de ses productions culinaires n’avait rien de très attrayant…
Pourquoi alors avoir choisi précisément de cultiver ce type de larves plutôt que d’autres mieux adaptées à la consommation humaine – tels que les vers à farine, par exemple ? Car ceux-ci ne sont pas seulement extrêmement faciles à cultiver, mais également déjà autorisés à la vente en Suisse ! Par ailleurs, une étude de l’Université d’Oxford a récemment démontré (sans grande surprise) que ces protéines de mouches (!) présentaient de médiocres caractéristiques nutritionnelles pour les humains… Pourquoi alors persévérer dans cette voie ?
Les lecteurs les plus intuitifs ont sans doute déjà deviné la réponse…
La coprophagie comme avantage compétitif imbattable
Dès 2010, un étudiant de l’EPFZ expliquait dans sa thèse de doctorat :
« La technologie de traitement des déchets organiques utilisant les larves de mouches soldats noires (hermetia illucens) ouvrent la voie à une option économiquement viable […] L’alimentation [des larves] réduit jusqu’à 80% de la biomasse des déchets organiques tels que les restes de marché/cuisine, le fumier animal ou même les excréments humains. »
Le doctorant en question, un certain Stefan Diener, n’allait pas tarder à rejoindre l’Institut fédéral des sciences et technologies de l’eau (EAWAG), où il allait notamment travailler sur des questions liées aux « boues fécales »… et au « compostage à l’aide de mouches soldats noires » ! Car il est de fait,que pour l’EAWAG les mouches soldats noires peuvent être nourries « de manière appropriée » avec des « excréments humains » et autres détritus provenant de « fosses septiques »…
En juillet 2018, Stefan Diener allait ainsi cosigner un article scientifique avec le Prof. Mathys portant, précisément sur cette thématique du « traitement des déchets à l’aide de mouches soldats noires »… Le texte précisant que les « excréments humains » faisaient partie de « l’alimentation naturelle » des mouches soldats noirs – et qu’ils permettaient de maximiser la production de protéines des larves en question.
Et voilà que dès le mois suivant, le Prof. Mathys faisait breveter ses méthodes innovantes pour tuer les insectes « de manière éthique » avant des les transformer en aliments. (« Anesthésier les insectes par refroidissement, puis les couper, ce qui détruit leur système nerveux ».)
Étant donné l’intérêt persistant de l’EPFZ pour ces nouvelles techniques « alimentaires », on devine que l’élevage de poules n’est pas la seule activité qui pourrait bénéficier (financièrement) de la culture de larves coprophages… Ce type de protéines n’aurait-il pas, en effet, vocation à être employé dans la fabrication de viande synthétique ? Il se trouve en effet que Micarna, la filiale du groupe Migros chargée de développer des produits à base de viande synthétique, est membre du réseau Swiss Food Research, qui s’intéresse tout particulièrement à l’emploi d’insectes « comme source de protéines ». Or, pour développer son offre de « protéines saines », le Swiss Food Research fait bel et bien appel aux compétences scientifiques… du Prof. Mathys de l’EPFZ !
Se pourrait-il alors que la future viande synthétique « végane » des supermarchés suisses ait vocation à être produite à base de chenilles broyées – elles-mêmes nourries aux excréments humains ?
Le pharmacologue néerlandais Mark Post, qui a co-fondé la société Mosa Meat en 2013, travaille depuis plusieurs années avec les supermarchés Coop au développement d’assortiments de viande synthétique, destinés au public suisse. Avec l’objectif assumé de supprimer totalement la viande naturelle du marché…
Il nous faut encore souligner ici le fait qu’Alexander Mathys travaille avec Nestlé depuis une bonne dizaine d’années déjà – et qu’ils ont développé ensemble la quasi-totalité des brevets de son institut « d’agroalimentaire durable ».
Il n’est donc guère étonnant que Nestlé cherche à développer des « cultures d’insectes et d’algues » comme source de protéines – puisqu’il s’agit-là, précisément, des deux sujets de prédilection du Prof. Mathys.
Mais au fait, que viennent faire les algues dans tout cela ?
Des algues saines et véganes cultivées avec… l’eau des égouts ?
Avant tout, précisons que l’EAWAG – qui propose de cultiver des larves de mouches soldats noires en les nourrissant d’excréments – est l’un des « partenaires-clés » de la Swiss Food & Nutrition Valley, lancée par Nestlé en janvier dernier.
Précison encore que l’EAWAG travaille activement à l’idée de « collecter séparément l’urine [humaine] », si riche en « précieux nutriments », en l’isolant des excréments.[1]
Précisons enfin que la chlorella, la « micro-algue » dont le Prof. Mathys (EPFZ) souhaite développer l’exploitation à des fins alimentaires, peut être cultivée en utilisant exclusivement de l’urine humaine. De fait, diverses études ont été conduites à ce propos au cours des dernières années, avec des résultats visiblement très probants.
Il est ainsi passablement troublant de constater qu’Alver, une start-up issue de Nestlé et qui collabore justement avec l’EPFZ, commercialise déjà divers produits « véganes » et « détox » à base de chlorella. N’y a-t-il pas quelque raison de supposer que les protéines de synthèse avec lesquelles cette société fabrique ses « pâtes véganes » et autres « barres de protéines » (en attendant les « steaks » et autres « muesli »), ont été cultivées avec l’eau des égouts ?
Une chose est certaine. C’est que le Prof. Mathys a participé à une récente étude vantant les qualités nutritives de la poudre de chlorella commercialisée par Alver – celle-ci pouvant servir à créer des « analogues de viande »…
On notera d’ailleurs que la « Golden Chlorella » produite par Alver se présente sous la forme « d’une poudre jaunâtre et sans goût ». Or, il se trouve justement qu’un autre membre de la Swiss Food & Nutrition Valley, le parfumeur Firmenich, propose précisément de rendre les protéines végétales « délicieuses » – en y ajoutant des arômes « naturels »… avec la possibilité, par exemple, de donner un goût de « bœuf légèrement grillé » à des « analogues de viandes » créés à base de « protéines végétales » !
Se pourrait-il alors que Firmenich ambitionne de donner bon goût à des algues insipides cultivées à l’urine humaine ?
Une hypothèse d’autant plus envisageable que Firmenich a noué, au cours des dernières années, un partenariat de « développement durable » avec l’EAWAG – qui propose, comme on l’a vu, d’utiliser l’eau des égouts à des fins alimentaires. Mieux encore : Firmenich fait partie de la « Toilet Board Coalition ». Un groupement mené par la Bill & Melinda Gates Foundation – et dont la raison d’être est de produire des « marchandises de valeur » à partir de « déchets biologiques » !
Or, là encore, il se trouve que l’EAWAG collabore avec la Toilet Board Coalition en tant que « partenaire académique » ! On sera donc peu surpris d’apprendre que la Toilet Board Coalition s’intéresse énormément à la production de mouches soldats noires à partir de matières fécales…
Derrière les grands projets supposément caritatifs de la Fondation Gates, l’on voit ainsi apparaître des modèles d’affaires extrêmement concrets – et qui ont de toute évidence vocation à être déployés dans le monde occidental. A commencer par la Suisse. De fait, il paraît bien peu probable que la coopération entre Firmenich et la Gates Foundation, qui dure depuis plusieurs années déjà, se concentre réellement sur la désodorisation des toilettes du Tiers-Monde !
Firmenich est un partenaire de Microsoft pour la création d’arômes sur-mesure (« expérience client personnalisée »). Le but étant de faciliter la déglutition d’une « nourriture plus saine », et notamment « d’analogues de viande à base de plantes ».
Cette possibilité de créer des arômes – et même des régimes alimentaires (ajout de nutriments) – sur-mesure grâce au big data avait été prédite par Nestlé il y a plusieurs années de cela déjà. Et c’est sans doute ce qui explique la participation de la prestigieuse École hôtelière de Lausanne (EHL) à la Swiss Food & Nutrition Valley. Pourquoi en effet ne pas offrir aux chaînes hôtelières partenaires (Accor, etc.) la possibilité de proposer à leurs clients des aliments diététiques parfaitement adaptés à leurs goûts – et à leurs besoins médicaux ? Microsoft ne dispose-t-elle pas de toutes les informations requises ? Ne gère-t-elle pas déjà les dossiers électroniques des patients (DEP) de certaines grandes assurances-maladie suisses telles que Helsana ? Et le Ludwig Cancer Research de Lausanne, qui est pleinement intégré à la Swiss Food Valley, ne cherche-t-il pas précisément à mettre en place une « médecine préventive », via des régimes alimentaires ciblés ? N’est-ce pas d’ailleurs pour cela que le Centre hospitalier universitaire du canton de Vaud (CHUV), qui reçoit des fonds de la Fondation Ludwig par dizaines de millions, est lui aussi associé à la Swiss Food Valley ?
Ne serions-nous pas en train d’assister à l’émergence d’un partenariat parfaitement inédit entre le secteur médical (et les assurances), les Big Tech, les géants de l’agroalimentaire, les parfumeurs, les grandes chaînes hôtelières et de restauration… et les stations d’épuration ?
La grande croisade de Bill Gates en faveur de « l’eau de caca »
Si Nestlé a eu tôt fait de vanter les mérites du big data en matière d’alimentation (goût personnalisé et nutrition ciblée), Bill Gates, de son côté, s’est lancé dès la début janvier 2015 dans une étrange campagne promotionnelle. Car il s’agissait bien de démontrer la possibilité de générer de l’eau potable de façon « circulaire », à partir de l’eau des égouts !
Après traitement, le contenu de vos toilettes se verra transformé en « l’eau la plus pure qui soit ».
« Mmh, on dirait vraiment de l’eau minérale ! »
Et jusqu’en Chine… (l’EAWAG participait également à l’événement)
Il va sans dire que de tels procédés ne peuvent qu’intéresser au plus haut point les multinationales de l’eau en bouteille, telles que Nestlé. Celle-ci étant, de fait, à la tête du Swiss Water Partnership, qui collabore activement (et de plus en plus ouvertement) avec la Toilet Board Coalition de Bill Gates.
Dans « l’économie circulaire », l’eau issue de la cuvette de vos toilettes (« poop water ») vous sera donc à nouveau servie à boire. Quant à votre mixtion et vos selles, quelques transformations biochimiques plus ou moins présentables permettront de vous les resservir à manger. Pour le plus grand bonheur des leaders mondiaux de l’agroalimentaire, qui pourront puiser dans des ressources « nutritionnelles » abondantes et bon marché, tout en accroissant considérablement leurs exportations d’eau minérale – vers l’Asie, par exemple.
Bienvenue dans « l’économie consciente et durable » du XXIème siècle, ou la coprophagie devient « saine » et « l’écologie »… extrêmement rentable.
Par Vincent Held, auteur du Crépuscule de la Banque nationale suisse, d’Après la crise et d’Une civilisation en crise, Éd. Réorganisation du Monde, janvier 2020.
[1] Un concept déjà testé en Afrique du Sud – et que l’EAWAG souhaite aujourd’hui transposer en Suisse, avec l’aide de l’équipementier sanitaire Laufen.