Mars 28, 2019 par LHK Le retour de Bolkestein : mainmise de la Commission européenne sur les services. Attac France, Corporate Europe Observatory Nous publions ici la traduction d’un article de Corporate Europe Observatory et nous invitons les collectivités territoriales et les organisations à signer cette courte déclaration (en utilisant ce formulaire en anglais). Publié lundi 17 décembre 2018 Alors que de nombreuses collectivités territoriales à travers l’Europe expérimentent, innovent et tentent, pour certaines d’entre elles, de desserrer l’étau néolibéral et productiviste, la commission semble vouloir réduire leurs capacités à néant. Un projet de réforme de la directive Bolkestein, en cours de négociation à Bruxelles, pourrait en effet avoir des incidences graves et
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Le retour de Bolkestein : mainmise de la Commission européenne sur les services. Attac France, Corporate Europe Observatory
Nous publions ici la traduction d’un article de Corporate Europe Observatory et nous invitons les collectivités territoriales et les organisations à signer cette courte déclaration (en utilisant ce formulaire en anglais).
Publié lundi 17 décembre 2018
Alors que de nombreuses collectivités territoriales à travers l’Europe expérimentent, innovent et tentent, pour certaines d’entre elles, de desserrer l’étau néolibéral et productiviste, la commission semble vouloir réduire leurs capacités à néant. Un projet de réforme de la directive Bolkestein, en cours de négociation à Bruxelles, pourrait en effet avoir des incidences graves et fortement préjudiciables sur le processus décisionnel des assemblées régionales et des conseils municipaux dans toute l’Europe.
Questions & Réponses sur la proposition visant à doter la Commission de nouveaux pouvoirs d’annulation de décisions locales
Les institutions européennes sont en train de négocier de nouvelles règles relatives au marché unique qui pourraient avoir des incidences graves et fortement préjudiciables sur le processus décisionnel des parlements, des assemblées régionales et des conseils municipaux dans toute l’Europe. La Commission se propose d’appliquer la directive sur les services – alias la directive Bolkestein – d’une manière inédite et extrêmement interventionniste. En bref, la Commission revendique le droit d’approuver ou de rejeter une nouvelle législation ainsi que d’autres mesures visées par la directive. Or, la directive porte sur un large éventail de sujets : les règlements de zonage (urbanisme), les mesures en matière d’accès au logement, l’approvisionnement énergétique, l’approvisionnement en eau, la gestion des déchets et bien plus.
La proposition de la Commission suscite de plus en plus de critiques, en particulier de la part des conseils municipaux, dont la capacité d’action pourrait être sérieusement limitée dans de nombreux domaines si la proposition venait à être adoptée. Faute d’avoir été correctement informés des enjeux, nombre d’entre eux découvrent tardivement que même les communes devront demander l’autorisation de la Commission avant d’adopter une mesure concernant les services. Le conseil municipal d’Amsterdam a adopté à l’unanimité une résolution qui stipule que la proposition « nuit à l’autonomie des collectivités locales et constitue de ce fait une menace pour la vie démocratique locale ». Partout en Europe, ce puissant message en faveur de la prise de décision locale commence à trouver un écho dans les villes. Un communiqué public contre la proposition a rapidement recueilli les signatures de 75 organisations européennes, dont des ONG, des mouvements sociaux et des partis politiques, et de nouvelles signatures ne cessent d’affluer au fil des jours.
Que signifie toute cette agitation ? Corporate Europe Observatory a dressé une liste de questions qui nous sont fréquemment posées en ce moment, afin d’essayer d’expliquer les enjeux de cette proposition et les préoccupations qu’elle suscite.
Comment la Commission envisage-t-elle de bloquer ou de modifier des décisions prises dans les États membres ?
La proposition concerne la « notification », c’est-à-dire le fait d’« informer » la Commission, ce qui semble plutôt anodin. Mais ce n’est pas si simple.
À l’heure actuelle, lorsqu’un État membre adopte une nouvelle mesure relevant de la directive sur les services, il est tenu d’en informer la Commission. Il peut le faire après l’adoption et l’entrée en vigueur de la mesure. La Commission vérifie ensuite si ses règles ont été respectées. Si elle estime qu’elles ne l’ont pas été, elle entame des discussions avec l’État membre en question afin de trouver une solution.
Cette procédure est en place depuis l’adoption de la directive Services en 2006. Toutefois, une pléthore de groupes de pression d’entreprises, ainsi que la Commission elle-même, déplorent l’inefficacité et la lenteur de cette approche.
Sur le modèle d’une proposition présentée par BusinessEurope, et poussée par les pressions considérables exercées par divers autres représentants du secteur privé, la Commission propose une nouvelle procédure, beaucoup plus intrusive. D’après cette nouvelle mouture, les pouvoirs publics – qu’il s’agisse de collectivités locales ou de ministères – seraient tenus d’informer la Commission des décisions prévues en la matière trois mois avant la date présumée de leur adoption par un vote. La Commission aurait ainsi la possibilité d’examiner le texte à l’avance et, dans l’hypothèse où elle découvrirait quelque chose qu’elle estimerait contraire à la directive sur les services, elle émettrait une « alerte ». Dans cette « alerte », la Commission indiquerait les modifications nécessaires pour obtenir son feu vert.
Si les recommandations de la Commission – qui peuvent aller du rejet en bloc à des ajustements mineurs – ne sont pas prises en compte et que le conseil municipal ou le parlement en question adopte la mesure, la Commission prendrait alors la décision d’exiger que « l’État membre concerné…abroge la mesure » (article 7).
Cela donne en substance à la Commission, et c’est très inquiétant, le pouvoir de casser les décisions d’assemblées élues dans un très grand nombre de domaines d’action, qui revêtent une importance décisive non seulement pour l’économie, mais aussi pour la plupart des sphères de la société. Qui plus est, cela modifierait radicalement le processus de prise de décision, en particulier au niveau des collectivités locales et des autorités régionales, portant ainsi gravement atteinte au principe et à la pratique de la démocratie locale dans l’UE.
Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Est-ce vraiment si grave ?
Avant de poursuivre l’examen de la base juridique de tout ceci – la directive sur les services -, il peut être utile de se faire une idée de ce qui est en jeu ici, et de le faire à travers quelques exemples concrets.
- Lorsque le conseil municipal d’Amsterdam s’est prononcé contre la proposition de la Commission, le conseiller municipal Tiers Bakker, auteur de la résolution, a évoqué les tentatives de réglementation d’AirBnB dans cette ville. Pendant longtemps, AirBnB a bénéficié de règles très souples à Amsterdam, mais au fil du temps, son utilisation s’est tellement généralisée que cela a provoqué des problèmes d’accès au logement à un prix abordable et une modification du climat et de l’environnement dans des quartiers névralgiques de la ville. Le conseil municipal est intervenu, en réponse aux demandes de son électorat, les habitants de la ville, et a durci la réglementation, avant de découvrir que limiter l’utilisation d’AirBnB pourrait constituer une violation de la directive Services. Avec cette nouvelle proposition, la ville d’Amsterdam serait tenue de demander l’autorisation de la Commission pour adopter une telle réglementation.
- D’après un récent arrêt de la Cour de justice de l’UE, la directive sur les services s’applique aux règlements de zonage ou à l’aménagement urbain. La planification urbaine suppose parfois des choix politiques des autorités quant à la localisation des magasins dans une ville, ou quant à la superficie de ces magasins. Il se peut que certaines villes préfèrent ne pas accueillir d’hypermarchés géants afin de préserver l’existence des petits commerces. Or, il se trouve que la directive est applicable à ce secteur de l’aménagement. Cela signifie que, dans ce cas également, une décision devrait être préalablement envoyée à la Commission, ce qui donnerait le dernier mot à cette institution européenne, peut-être pas pour chaque décision d’urbanisme, mais suffisamment pour lui permettre de bloquer ou de rejeter des projets généraux de long terme en matière de développement urbain.
- La directive a aussi un impact notable sur les différents droits du travail. À l’origine, lorsque la directive sur les services avait été présentée, le fait qu’elle permettrait aux entreprises de services d’exercer leurs activités dans toute l’Union en respectant uniquement les règles et réglementations de leur pays d’origine avait déclenché un tollé. Le mouvement syndical avait fait valoir que cela conduirait inévitablement au dumping social, puisque les entreprises ayant leur siège dans un pays à bas niveau de salaires seraient en mesure d’envoyer des travailleurs dans des pays à haut niveau de salaires tout en continuant de leur verser un salaire bien inférieur à la rémunération locale. Les protestations de grande ampleur qui ont eu lieu dans toute l’Union ont finalement abouti à faire retirer le droit du travail du champ d’application de cette directive. Mais cela ne signifie pas pour autant que des mesures destinées à vérifier que les entreprises de services respectent les conventions collectives ou la législation du pays soient autorisées. Récemment, la Commission a dénoncé des règles au Danemark qui permettent aux pouvoirs publics et aux syndicats de déceler d’éventuelles infractions aux conventions collectives et au droit du travail.
- La directive sur les services peut même avoir des incidences sur l’utilisation des ressources naturelles. En 2015, l’Autorité de surveillance de l’Association européenne de libre-échange (AELE), qui supervise le respect des règles du marché unique dans les pays de l’EEE (Islande, Norvège et Liechtenstein), a jugé que la législation islandaise concernant l’utilisation de l’énergie géothermique et des eaux souterraines contrevenait à la directive Services car elle compliquait outre mesure l’accès des exploitants étrangers privés aux ressources en question. Cette loi avait été adoptée en réponse à une préoccupation de certains Islandais sur le fait que les entreprises privées ont tendance à ne pas tenir compte de l’intérêt général à long terme dans leur utilisation des ressources géothermiques, et adoptent souvent une vision à court terme. Il n’en reste pas moins que, jusqu’à présent, cette législation est considérée comme une infraction au droit européen.
Quels sont les domaines qui sont concernés par cette procédure, et de ce fait également visés par la directive sur les services ?
La nouvelle proposition permettrait à la Commission de rejeter des décisions portant sur les mesures et les domaines visés par la directive Services de 2006. Or, cette directive englobe un très large éventail de domaines d’action, parmi lesquels la quasi-totalité des secteurs de services.
Lorsque la directive sur les services a été initialement projetée en 2004, elle concernait tous les services sans exception. La directive Bolkestein – du nom du commissaire qui en est à l’origine, Frits Bolkestein – était un plan de libéralisation des services de très grande envergure, censé régir à peu près tout ce qui se vend et qui n’est pas matériel ! Cependant, vu la vive opposition à laquelle s’est heurtée la directive, réunissant plus de 100 000 personnes dans les rues de plusieurs États membres en signe de protestation, on a retiré certains secteurs et domaines de la directive et réduit sa portée dans d’autres, en réponse à l’indignation générale.
Malgré tout, même sous une forme allégée, la directive s’étend à un vaste champ de sujets et de domaines d’action. Elle porte notamment sur les secteurs suivants : l’enseignement, la comptabilité, les services juridiques, le conseil, les services d’architecture, l’approvisionnement en eau, la gestion des déchets, la publicité, les services postaux, l’électricité, la distribution de gaz, le commerce de détail et bien d’autres secteurs.
En fait, on comprend mieux lorsqu’on examine les secteurs de services qui ne sont pas concernés par la directive : les services d’intérêt général qui ne relèvent pas du domaine économique (c’est-à-dire les services publics pour lesquels les citoyens ne paient pas), les services financiers, les services de santé, les jeux de hasard, les communications électroniques, les services audiovisuels (télévision et radio), les services de sécurité privée, les transports, les agences de travail intérimaire et les notaires et huissiers. Il existe également une exemption pour les services sociaux, mais les régimes complémentaires de sécurité sociale sont inclus.
Qu’est-ce qui est interdit par la directive Services ?
Au fond, la directive relative aux services est une liste de mesures, de types d’exigences et de cadres que les États membres ne peuvent pas prendre ni imposer dès qu’il s’agit de la réglementation des services.
La directive contient trois listes. Les deux premières s’appliquent à tous les secteurs qui ne sont pas exemptés de la directive, tandis que la dernière, qui est aussi la plus radicale, vise tous les secteurs à l’exception de quelques-uns, explicitement signalés dans le texte.
La première liste restreint l’introduction de régimes d’autorisation, interdit toute obligation de résidence pour les propriétaires et limite les restrictions sur le nombre d’entreprises et le volume d’activité dans un secteur. Elle interdit également aux États membres d’exiger la contribution à des régimes d’assurance ou la souscription de garantie financière (à quelques exceptions près) et exclut d’obliger les sociétés de service à s’inscrire dans un registre (comme dans l’exemple danois ci-dessus), sauf dans certaines circonstances.
La deuxième liste interdit – en principe – d’imposer aux entreprises de services un nombre minimum de salariés, ainsi que des tarifs minimum ou maximum, de limiter les activités des entreprises en fonction de la population dans une zone donnée et de fixer des règles qui exigent qu’une entreprise ait une « forme juridique » particulière.
Cette deuxième liste s’accompagne d’une procédure spéciale. Si un État membre adopte des dispositions réglementaires dans les domaines énumérés ci-dessus, il doit jusqu’à présent en informer la Commission. Celle-ci peut alors demander à l’État membre (et non exiger de lui) de ne pas adopter ces mesures ou de les abroger si elle estime qu’elles sont trop restrictives et donc contraires aux dispositions de la directive sur les services. Mais ce qui est crucial, c’est que jusqu’à présent, les États membres n’étaient pas tenus de communiquer la mesure à la Commission avant qu’elle ne soit adoptée.
La troisième liste, à l’article 16 de la directive, est la plus lourde de conséquences. Selon cet article, les sociétés de services doivent être libres de fournir des services et aucune restriction n’est autorisée, à moins qu’elle ne constitue pas une discrimination fondée sur la nationalité, qu’elle soit proportionnée et « nécessaire ». Ce qui rend cet article particulièrement sévère et restrictif, c’est que la « nécessité » ne peut être « justifiée que par des raisons d’ordre public, de sécurité publique, de santé publique ou de protection de l’environnement ». Cette formulation juridique exclut des tas d’autres préoccupations légitimes susceptibles de justifier une réglementation, telles que les questions de l’accès à un logement abordable, d’un niveau de vie décent, de la protection des milieux urbains, et bien plus encore.
Cette dernière liste est celle qui a été la plus controversée sur le plan politique lorsque la directive sur les services a été adoptée en 2006. C’est la raison pour laquelle certains services publics ont été explicitement exclus de cette section : l’électricité, le gaz, les services postaux, l’approvisionnement en eau et la gestion des déchets.
Si ce qui précède donne un aperçu de l’ensemble des domaines régis par la directive sur les services, il se peut toutefois que les conséquences que la directive a eues ou aura dans un secteur donné ne soient pas encore limpides. C’est en fait très souvent le cas avec les directives de l’UE, dont il faut surveiller attentivement la mise en œuvre pour bien en comprendre toute la portée et les implications sur le plan politique.
La notification est-elle obligatoire pour l’ensemble de la directive, y compris pour le (tristement) célèbre article 16 ?
À l’heure actuelle, les États membres ne sont tenus d’informer la Commission que lorsqu’ils prennent des décisions dans un certain nombre de domaines. Dans la nouvelle proposition, en revanche, l’article 16 est également concerné.
Lors du dernier mouvement de protestation contre la directive Bolkestein, l’article 16 avait suscité de vives inquiétudes, en raison du principe dit du « pays d’origine ». Ce principe signifie en substance qu’un prestataire de services est uniquement tenu de respecter les règles de son pays d’origine, et non celles des autres États membres dans lesquels il a ses activités. Après une longue bataille, l’article avait été modifié pour répondre à certaines des préoccupations soulevées, mais il reste très radical. En fait, cet article interdit les restrictions sur tous types de services, à moins que l’on ne puisse prouver que ces restrictions sont nécessaires pour atteindre certains objectifs, dont le nombre est très limité.
Le degré d’ingérence que cela représente, ou que cela représentera à l’avenir, se résume en fin de compte à l’interprétation des règles. Et avec sa nouvelle proposition, la Commission tente clairement de se donner le droit d’interpréter le texte une fois pour toutes dans une optique « d’approfondissement du marché unique ».
Mais la Commission ne se contente-t-elle pas de faire respecter le droit communautaire ?
Ce n’est pas si simple. Comme il ressort clairement des informations ci-dessus, la directive sur les services est un texte extrêmement complexe. Elle est truffée d’articles qui requièrent une évaluation plus ou moins poussée de chaque cas avant de décider si la directive a été respectée. Par exemple : la mesure est-elle « proportionnée » ou non ? Est-elle adoptée pour des « raisons impérieuses d’intérêt général » ? Ce sont là des questions en partie subjectives qui exigent une évaluation complète et une justification claire de toute décision prise à cet égard.
La proposition de modification de la « procédure de notification » donne à la Commission la prérogative d’apporter des réponses définitives à de telles questions et d’agir avec détermination de sa propre initiative : alors que dans l’ancienne version de la directive sur les services, la Commission pouvait décider « le cas échéant » de « demander » qu’une mesure ne soit pas adoptée ou soit abrogée, la nouvelle proposition lui permet « d’exiger » la non-application de ladite mesure.
Ce que la Commission se propose de faire n’est pas exactement de défendre et de faire respecter le droit de l’UE. En réalité, elle propose de défendre et de faire respecter sa propre compréhension et sa propre interprétation du droit. Et comme la plupart des luttes politiques les plus décisives au sein de l’UE portent précisément sur la manière d’interpréter la législation de l’UE, il s’agit là d’une manœuvre hardie – et d’une usurpation de pouvoir manifeste de la part de la Commission.
En outre, on pourrait faire valoir qu’avec l’adoption de cette proposition, la Commission outrepasserait doublement son mandat :
- Après tout, la directive sur les services reste une simple directive. Et une directive est censée laisser aux États membres une marge de manœuvre pour atteindre un certain nombre d’objectifs de la manière dont ils l’entendent, par opposition aux « règlements » qui fixent avec précision ce qui doit être fait. Selon le propre site internet de la Commission, les directives « instaurent une obligation de résultat, mais laissent les États membres libres quant aux moyens d’y parvenir ». La nouvelle procédure de notification, cependant, compromet totalement le libre choix des États membres à cet égard.
- En dernier ressort, ce n’est pas le rôle de la Commission de décider si la directive est ou non respectée, mais celui de la Cour de justice de l’Union européenne. La Commission peut certes émettre un avis, et elle peut signaler à un État membre que ce dernier est peut-être en train d’enfreindre la directive sur les services, mais prétendre qu’elle possède le dernier mot sur l’interprétation de la directive, au point de rejeter des politiques adoptées par des assemblées élues, ce serait outrepasser le mandat et le rôle qui sont les siens.
D’accord, mais le Parlement européen ne réagira-t-il pas fermement à cette attaque contre la démocratie ?
Hélas, non, pas en l’état actuel des choses. En fait, bien au contraire, la commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs du Parlement européen a déjà adopté un rapport dans lequel elle ne semble pas se préoccuper outre mesure des répercussions que cela aura sur le processus décisionnel des parlements, des assemblées régionales ou des conseils municipaux. Jusqu’à présent, la modification la plus substantielle du Parlement européen a été de suggérer que, lorsque la Commission analyse les notifications des ministères et des communes, des entreprises privées devraient être autorisées à participer à cette évaluation. Cela permettrait aux entreprises ayant un intérêt direct à voir adopter une nouvelle loi ou toute autre mesure de faire pression sur la Commission pour qu’elle mette un frein aux initiatives qui iraient à l’encontre de leurs intérêts commerciaux. En d’autres termes, le Parlement européen se propose de donner une tribune de plus au lobbying du secteur privé.
Les collectivités locales et les parlements nationaux ne peuvent-ils pas faire valoir que cette pratique constitue une prise de pouvoir illégitime et se prévaloir du principe de subsidiarité ?
Oui et non. Les parlements nationaux ont la possibilité de s’y opposer en ayant recours à ce qu’on appelle un « carton jaune ». Ce faisant, ils affirment que la Commission empiète sur un domaine qui devrait être traité à un niveau inférieur de gouvernement, que ce soit au niveau national ou municipal. Et de fait, le Bundesrat autrichien, le Sénat italien, les deux chambres des parlements français et allemand ont tous activé la procédure du carton jaune. Ils ont argué que cette proposition est contraire au « principe de subsidiarité » de I’Union européenne, selon lequel lorsqu’il est plus efficace de traiter une question au niveau national ou local, elle ne doit pas faire l’ objet de règles au niveau européen. Les résolutions de ces institutions adressent un message ferme à la Commission. La déclaration du parlement autrichien affirme que la proposition « porte gravement atteinte à la souveraineté législative des États membres », tandis que le Bundestag allemand est allé encore plus loin en affirmant que la proposition viole en réalité le traité sur l’Union européenne.
Cependant, en vertu des règles actuelles, une forte opposition de la part de plusieurs parlements et conseils municipaux en Autriche, en Italie, en France, en Allemagne et aux Pays-Bas ne suffit pas en soi à faire échouer cette proposition ni à la faire modifier par la Commission. Pour que la Commission soit obligée ne serait-ce que de réexaminer sa proposition, il faudrait qu’au moins cinq autres pays s’y opposent.
À quel moment doit-on arrêter une décision sur cette proposition ?
Cela pourrait être très rapide. La proposition de directive a été présentée en 2016 et elle est arrivée à un stade très avancé. Au moment de la rédaction du présent article, les délégations des États membres (le Conseil) négocient avec le Parlement européen pour voir si les deux institutions peuvent parvenir à un accord. Les négociations sont présidées par le gouvernement autrichien, qui souhaite les conclure avant que la présidence du Conseil ne soit confiée au gouvernement roumain. Après cela, il ne resterait plus que deux formalités : un vote au Parlement européen et un autre au sein du Conseil.
Le temps presse et la question est extrêmement préoccupante, car cette proposition risque de saper et de modifier radicalement la vie démocratique locale et la participation des citoyens dans tous les pays de l’Union, ainsi que la capacité des pouvoirs publics à faire droit aux demandes des électeurs en matière de réglementations d’intérêt général. Il vaut mieux agir aujourd’hui qu’attendre à demain.