On se souvient que la gauche suisse avait soutenu en bloc la « loi too-big-to-fail » de septembre 2011, qui offrait une garantie d’État illimitée aux grandes banques mondialisées. Avec Prévoyance 2020, tous les ingrédients seront réunis pour répercuter les éventuelles pertes spéculatives des too-big-to-fail sur le niveau des rentes LPP… pour le plus grand bonheur de la droite ! Le 6 septembre 2017, le Conseil fédéral publiait un rapport consacré à diverses questions techniques touchant aux institutions de prévoyance suisses. Nous remarquerons avant tout que cette étude répondait à une demande du Conseil national datant du… 17 juin 2014 ! Et voici ce que l’on pouvait lire dans le document que le Conseil fédéral avait mis tant de temps à publier : « En ce qui concerne la perspective
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On se souvient que la gauche suisse avait soutenu en bloc la « loi too-big-to-fail » de septembre 2011, qui offrait une garantie d’État illimitée aux grandes banques mondialisées. Avec Prévoyance 2020, tous les ingrédients seront réunis pour répercuter les éventuelles pertes spéculatives des too-big-to-fail sur le niveau des rentes LPP… pour le plus grand bonheur de la droite !
Le 6 septembre 2017, le Conseil fédéral publiait un rapport consacré à diverses questions techniques touchant aux institutions de prévoyance suisses. Nous remarquerons avant tout que cette étude répondait à une demande du Conseil national datant du… 17 juin 2014 !
Et voici ce que l’on pouvait lire dans le document que le Conseil fédéral avait mis tant de temps à publier :
« En ce qui concerne la perspective des institutions de prévoyance, les auteurs de l’étude recommandent l’utilisation du « taux de couverture sous risque III ». Celui-ci prend en considération […] la sécurité financière de l’institution sur cinq ans, en tenant compte des mesures d’assainissement pouvant être prises entre autres à la charge des assurés actifs. »
Les « mesures d’assainissement » ! Une terminologie qui n’a rien d’anodin, puisque c’est précisément ainsi que sont présentées les procédures de confiscations bancaires que la Finma (et le Conseil fédéral !) prévoient de mettre en œuvre pour renflouer les grandes banques menacées de faillite. (1) Tout ceci, qui plus est, « à la charge des assurés actifs » ! On ne saurait être plus clair…
La concomitance stupéfiante entre la sortie de ce rapport explosif et l’entrée en vigueur probable de Prévoyance 2020 mérite toute notre attention. Car comme nous avons déjà tenté de l’expliquer par ailleurs, la « réforme Berset » permettra justement d’adapter le niveau des rentes LPP à tout moment. Y compris en abaissant le taux de conversion minimal de la LPP en-dessous des 6% annoncés par les médias et les communicants politiques !
Le texte adopté par le Parlement le 17 mars 2017 définit en effet ce taux de 6% comme un point de départ. La Confédération pourra, de fait, ajuster le taux de conversion minimal de la LPP à tout moment par la suite :
« Le taux de conversion minimal s’élève à 6 % à l’âge de référence. […] Le Conseil fédéral soumet un rapport à l’Assemblée fédérale tous les cinq ans au moins. Ce rapport contient les bases [techniques] qui permettent de déterminer le taux de conversion minimal des années suivantes. »
Le Message d’Alain Berset au Parlement explique d’ailleurs de façon très claire la nature des « bases techniques » qui doivent permettre de nouveaux ajustements du taux de conversion minimal de la LPP :
« Le but du rapport est de montrer l’évolution récente des bases techniques sur lesquelles repose le réexamen du taux de conversion minimal. Il s’agit de données biométriques […] et de données ayant trait au marché des capitaux (expectatives de rendement). En cas d’écart, le rapport esquissera les mesures envisageables. »
Prévoyance 2020 propose donc d’ajuster le niveau minimum des rentes LPP en cas de secousses significatives sur les marchés financiers. Les retraites des Suisses seront ainsi directement menacées par l’éventualité d’une nouvelle crise financière internationale…
Cette approche, notons-le, est parfaitement cohérente avec l’idée de soutenir coûte que coûte les grandes banques. Comme nous venons de le voir, les capitaux des 2e et 3e piliers pourraient en effet parfaitement servir, un jour ou l’autre, à éponger les pertes spéculatives des too-big-to-fail. Revoir le taux de conversion minimal à la baisse pourrait alors permettre un retour à l’équilibre financier pour de nombreuses institutions de prévoyance…
Pour baisser le taux de conversion minimal de la LPP en-dessous des 6%, le Conseil fédéral peut compter sur le soutien de la droite !
Mais, me direz-vous, une baisse du taux de conversion minimal en-dessous des 6% annoncés nécessiterait l’accord du Parlement… Eh bien, soyez pleinement rassurés ! Car depuis quelques années, la droite ne cesse de réclamer précisément la possibilité de réaliser de tels ajustements de façon automatique.
Avec le soutien moral d’une partie de la gauche, d’ailleurs, ce qui ne gâte rien.
Commençons par un exemple quelque peu extrême. Le 15 mars 2012, le conseiller national UDC Thomas de Courten avait lancé une initiative parlementaire d’une teneur pour le moins inhabituelle :
« La loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité (LPP) sera modifiée de façon à ce que le taux de conversion et le taux d’intérêt minimaux ne soient plus fixés dans la loi. »
Une demande passablement choquante, mais qui n’en avait pas moins été étudiée avec attention par la Commission de la sécurité sociale du Parlement. Il faut dire que quelques mois auparavant, une motion du groupe PLR qui exigeait l’adaptation automatique du taux de conversion minimal de la LPP à l’évolution des marchés financiers, avait connu un succès spectaculaire au Parlement :
« Le Conseil fédéral est chargé de modifier la loi sur la prévoyance professionnelle de telle sorte que le taux de conversion [minimal] soit désormais adapté automatiquement en fonction des possibilités effectives de redistribution, soit une formule tenant compte de l’espérance de vie, des montants cotisés et des rendements [financiers] ayant cours, et ne dépende donc plus d’une décision politique. »
Or, cette motion fort peu médiatisée allait être très largement acceptée (69%) par le Conseil national – grâce au soutien massif du PDC et des Verts libéraux, notamment. En outre, bien que la gauche se soit opposée (presque) en bloc à ces démarches parlementaires, certains membres du Parti socialiste et des Verts n’étaient pas si hostiles qu’il n’y paraissait à l’idée de faire varier le taux de conversion minimal de la LPP en fonction de l’évolution du marché des capitaux.
En avril 2016 en effet, une majorité des membres de la Commission de la sécurité sociale du Conseil national – parmi lesquels des représentants de tous (!) les grands partis politiques suisses (2) – allait réclamer au Conseil fédéral la « dépolitisation » du taux de conversion minimal de la LPP.
Une demande qui se référait directement aux deux objets parlementaires que nous venons de voir… La gauche avait montré qu’elle non plus n’était pas systématiquement hostile à l’idée d’un taux de conversion minimal flexible !
De quoi supposer sans trop d’extrapolations que nos dirigeants politiques s’attendent à quelques remous pour le système financier suisse dans un avenir pas si lointain…
Par Vincent Held, Master en Finance (HEC Lausanne) et auteur du Crépuscule de la Banque nationale suisse, à paraître fin septembre aux Éditions Xenia.
Notes et références
1) Il s’agit-là, bien évidemment, des fameuses « conversions de créances » de la Finma, introduites en août 2012 et discrètement validées par le Conseil fédéral par voie d’ordonnance en mai 2016. Pour bref rappel, ces mesures de confiscation de l’épargne peuvent aujourd’hui être réalisées par la Finma indépendamment de toute décision politique, dans le but bien précis de venir en aide aux grandes banques.
Dans son Message explicatif du 13 mai 2016, le Conseil fédéral avait en effet précisé que de telles confiscations bancaires pourraient être réalisées « sur ordre de la FINMA, qui […] doit concrètement définir la forme (conversion ou réduction de créance) et le degré d’absorption (totale ou partielle) des pertes ».
2) La liste des membres (minoritaires) de la Commission de la sécurité sociale qui se sont opposés à cette démarche est indiquée dans le texte de la motion. On peut en déduire qu’au moins un membre de chaque parti (y compris du PS, des Verts et des Verts libéraux) a soutenu le texte.