La Mosquée d’Abraham de la citadelle d’Alep, ancienne église byzantine. (Wikipédia) Avant-propos: Alep a été entièrement libérée hier. Alep, la ville plusieurs fois millénaires, l’une des plus vieilles villes du monde à avoir été constamment habitée, a plié mains n’a pas cassé! Les rebelles d’Al Nosra (groupe assimilé à Al Qaïda) ont dû céder la place, mais non sans avoir livré une bataille et commis ce que d’aucuns ont osé qualifier de génocide. D’abord le génocide des Chrétiens et des Yazidis. Mais il convient de ne pas oublier les victimes sunnites, chiites, alaouites syriennes ou kurdes qui ont payé un lourd tribut à cette guerre imposée par l’étranger. La bataille sur le terrain continue d’être accompagnée d’une deuxième plus insidieuse et douloureuse pour nombre de ces personnes qui ont vécu l’enfer de la guerre. Il s’agit d’une guerre subtile car psychologique. Elle concerne la désinformation qui devient coutumière d’une certaine presse. Voici une lettre qui nous arrive en direct d’Alep. C’est celle du frère mariste George Sabe qui nous donne des nouvelles du terrain, mais qui est avant tout un message d’espoir, de solidarité et de paix.
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La Mosquée d’Abraham de la citadelle d’Alep, ancienne église byzantine. (Wikipédia)
Avant-propos:
Alep a été entièrement libérée hier.
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LETTRE D’ALEP No 28 g| 12 décembre 2016 | Maristes Alep المريميّون في حلب
Par Frère Georges Sabe pour les Maristes Bleus
Au moment où j’écris cette lettre, la grande majorité des quartiers d’Alep occupés par les rebelles ont été libérés, les routes ont été nettoyées et débarrassées de tout ce qui empêchait la communication entre une partie et une autre de la ville. Alors que beaucoup de rebelles armés ont profité de l’amnistie accordée et se sont rendus, et malgré tous les appels (mondiaux et locaux) à l’évacuation d’Alep, un noyau de terroristes (spécialement du front Al Nosra) refuse de se rendre. Ils s’obstinent et intensifient le bombardement des quartiers Ouest de la ville.
Nous assistons à un nouveau déplacement : des milliers de familles quittent les quartiers Est de la ville et viennent se réfugier dans des régions plus sécurisées.
Plusieurs voix s’élèvent pour annoncer qu’avant Noël, toute la ville d’Alep sera réunifiée. Nous espérons que cela se traduira par la fin des hostilités, la fin du cauchemar, la fin de la peur et surtout l’installation de la paix tant attendue depuis presque cinq ans (à Alep).
Il restera beaucoup à faire concernant le côté humain des habitants de cette ville ? Comment aider les gens à revenir, à s’installer, à avoir confiance en l’autre, à accepter une réconciliation ? Quels mots dire aux parents des martyrs, aux blessés, à ceux qui ont vu leurs maisons détruites ? Quel regard jeter sur celui qu’on soupçonne d’avoir été notre ennemi ? Faut-il avoir confiance en un avenir de paix ? Quelle garantie offrir aux déplacés et aux réfugiés qui ont tout quitté et sont allés s’installer à l’étranger et y ont construit leur vie ? Que répondre à ceux qui se méfient, ceux qui doutent, ceux qui annoncent d’autres malheurs ? Sommes-nous préparés à initier un chemin nouveau ? Si la paix tant attendue s’installe parmi nous, comment éveiller les gens à leurs responsabilités, à leurs devoirs civiques et sociaux ?
Toutes ces questions et plusieurs autres traversent notre esprit. Peut-être qu’il est trop tôt pour y répondre mais nous devons les partager et commencer à y réfléchir.
Ces jours-ci, les habitants d’Alep Ouest sont en train de sortir dans la rue pour aller ailleurs, là où c’était dangereux et interdit. Certains découvrent la réalité de ce qui a été leur magasin, leur maison ou leur lieu de culte. La guerre est passée par là laissant son empreinte : tout est volé, tout est détruit, parfois défiguré ou même disparu. On prend des photos, on s’indigne, on pleure… On essaye de voir s’il y a quelque chose à récupérer : Un souvenir, un livre, un n’importe quoi oublié que les seigneurs de la guerre n’ont pas emporté avec eux ? Les gens imaginaient le volume de dégâts mais la réalité dépasse souvent l’imaginaire et leur fait découvrir l’atrocité des crimes commis.
Il reste encore à déminer. Une dizaine d’enfants ont tenté de jouer dans un jardin public. Une mine a eu raison de leur vie… Il faut éviter certaines zones où il y avait des combats.
Les quartiers de l’Ouest de la ville continuent à recevoir leur lot quotidien de roquettes, d’obus de mortiers et de missiles. La mort continue à faire des ravages. La peur ne cesse de grandir. Il y a 3 semaines, une école primaire a été touchée par un missile. Au moins 8 élèves sont morts et plus de 100 personnes hospitalisées au milieu d’un silence honteux des grands de ce monde et d’une allusion brève et timide des moyens de communication.
Il y a quelques jours, Dr Nabil nous invitait à être vigilants : « La désinformation continue : entre autres, certains médias rapportent que « Alep est tombée » au lieu de dire « libérée » ». Pour ceux qui écoutent les déplacés arrivant des quartiers Est de la ville, pour ceux qui les côtoient, la réalité de la libération ne suffit pas pour exprimer la fin du cauchemar dans lequel ils vivaient. Ils étaient pris en otage par les éléments armés. Il leur était interdit de sortir, de quitter.
Quand l’armée est arrivée, ils ont pu se sentir en sécurité. Ils désiraient quitter le plus tôt possible. Comment faire pour que les médias reflètent la réalité telle qu’elle est ?
Dans le cadre de sa journée mensuelle « off », l’équipe d’animation des Maristes Bleus, s’est rendue le dimanche 30 octobre, chez quatre familles parmi les plus pauvres de nos bénéficiaires. Cette démarche a été suivie par un temps de partage et de prière. Nous avons insisté sur l’importance de l’écoute et du respect de toute personne pour nous diriger de plus en plus vers les familles les plus démunies.
Le 12 novembre 2016, et dans un programme spécial « Ajrass el Machrek = Les cloches du Levant » de la chaîne de Télé Al Mayadin, Dr. Nabil a présenté « la profondeur et le sens de l’action solidaire en temps de guerre ».
Le gouvernement de Navarre (Espagne) nous a décerné le « XIV PRIX INTERNATIONAL DE LA SOLIDARITÉ- 2016 ». L’ONG Mariste « SED » avait présenté notre candidature. Dans une conférence de presse le 30 octobre 2016, Miguel INDURÁIN, membre du jury, avait présenté les raisons de ce choix : « En reconnaissance de l’œuvre en faveur de la paix des Maristes Bleus dans une des zones les plus touchées par la guerre en Syrie, la ville d’Alep, et pour leur défense d’un des droits primordiaux de la personne humaine, le droit à la vie et pour leur collaboration avec d’autres organisations ».
F. Georges a rencontré les élèves du secondaire de 3 centres éducatifs. Il a rencontré des adultes et des personnes intéressées par la situation en Syrie. Il leur a expliqué la réalité du vécu quotidien dans la ville et leur a présenté toute l’œuvre des Maristes Bleus. Beaucoup de ceux qui l’ont écouté ont exprimé leur solidarité avec le peuple syrien.
Une question s’est répétée plusieurs fois « Où trouvez- vous la force pour continuer votre Mission ?». Et comme vous pouvez l’imaginer, notre force s’enracine dans notre foi, notre foi en Jésus Christ, proche des pauvres et des damnés. Un Jésus qui nous invite à aller à la rencontre de l’autre, et surtout le plus affligé, le plus blessé, le plus meurtri.
Un groupe d’enfants viennent à la rencontre du F. Georges, lui posent plein de questions et lui remettent à la fin un petit don… Un geste inoubliable… Un geste de solidarité… Un geste qui va beaucoup plus loin que toutes les frontières.
La présidente du gouvernement de Navarre et le directeur de laboral Kutxua ont encouragé les Maristes Bleus à continuer leur travail. Frère Georges, dans son mot de remerciement, annonce que ce prix fait honneur, il est vrai, aux Maristes Bleus mais nous le dédions, aussi, à toutes les victimes de la guerre… Le prix arrive au moment où la ville d’Alep continue de souffrir. Cette solidarité internationale nous stimule à résister et continuer notre mission. Notre remerciement est une promesse : « rester, poursuivre, être très proches des personnes qui souffrent ».
En visite en Allemagne, frère Georges a eu l’occasion de rencontrer des amis qui ont écouté de vive voix, un témoin direct de la situation d’Alep. Les auditeurs découvrent une réalité différente de ce que les médias occidentaux leur rapportent et apprécient toute notre action solidaire envers plus de 1000 familles.
Pour cela, nous bénéficions d’un large réseau d’amis qui nous soutiennent et prient pour nous. Je profite de l’occasion pour les remercier et leur dire combien nous estimons et apprécions leur soutien et leur prière.
A la fin de novembre, nous avons offert à chaque personne des familles que nous soutenons, (et ils sont des milliers) une paire de chaussures et des vêtements neufs.
Ces jours-ci, la situation chaotique des bombardements nous a obligés à prendre, par mesure de sécurité, la décision d’arrêter momentanément nos deux projets : « Apprendre à Grandir » et « Je veux Apprendre ».
Un jour de novembre, suite à un missile qui est tombé tout près du centre de distribution de notre programme « Goutte de Lait », les vitres sont toutes parties en éclats. Rien d’autre, heureusement, que des dégâts matériels.
Les équipes de distribution de l’eau ne chôment pas. En plein hiver, malgré la libération de la station de pompage de l’eau qui se trouve à l’intérieur des quartiers libérés par l’armée syrienne, l’eau reste coupée tout comme l’électricité.
Le programme de formation de cent heures « comment élaborer un petit projet » et auquel ont participé 20 personnes, est terminé. Les participants ont rédigé leurs projets et il reviendra au jury du MIT d’évaluer les meilleurs et en choisir deux qui seront soutenus financièrement par les Maristes Bleus.
Un nouveau programme de développement vient élargir notre liste. C’est « Coupe et Couture ». Il s’adresse aux femmes. Né en novembre 2016, Vingt-quatre femmes y participent. Durant 4 mois, elles vont suivre, en moyenne 6 heures par semaine, une formation à la coupe et à la couture.
Tous les autres programmes : distribution de paniers alimentaires et sanitaires, distribution de couvertures et de matelas, distribution de réservoirs d’eau, aide au loyer, les civils blessés de guerre et le programme médical, Skill School et lutte contre l’illettrisme, continuent normalement.
Au nom de tous les Maristes Bleus et de tous les bénéficiaires, je vous invite à nous mettre en marche vers Noël.En route vers Noël, nous avançons…
Nous, un peuple en recherche, un peuple en attente, un peuple d’espérance…
En route vers Noël, nous avançons…
Guidés par une étoile, une étoile de paix et de solidarité…
En route vers Noël, nous avançons…
Un seul désir guide nos pas : rencontrer un enfant, rencontrer le sourire d’un enfant, rencontrer l’humain d’un enfant…
En route vers Noël, nous avançons…
Les mains tendues vers l’autre, le tout autre, l’étranger, le déplacé, le mal aimé…
En route vers Noël, nous avançons…
Et nous chantons : « Paix aux hommes de Bonne Volonté ».
Joyeux Noël et Bonne année 2017
Lettre d’Alep No 28, le 12 décembre 2016
Frére Georges Sabe pour les Maristes Bleus